lundi 18 décembre 2017

"La quatrième dimension", Saison X, Episode 1: "Entrez!"


Ma porte, elle s'ouvre avec la clé de l'imagination. Au delà, il y a une autre dimension. Une dimension sonore, visuelle, mentale, un royaume fait d'ombres et de l'essence de toute chose, des objets de ma pensée et de sujets insensés.

Bienvenue, les amis ! Vous venez d'entrer dans ma quatrième dimension à la con.

Je me présente: Jeffrey Beaumont, la quarantaine mal assumée. J'ai manqué mon adolescence - elle m'est passée sous le nez - et ne sais m'en extraire, gardant les illusions et les maladresses de mes jeunes années, tout comme les envolées lyriques et décalées de ceux qui ne sauront jamais aimer.

J'écris de temps en temps. Je crois que mon salut réside à la dernière page d'un roman inachevé. A quoi bon vivre si tout a une fin? Vivre sans avoir vécu, c'est vivre sans fin, n'est-ce pas? Je crois en cette idée qu'il faut mieux être un écrivain raté qu'un raté tout court, mais je suis déjà à court d’idées et je passe à la suivante, celle qu'il faudra bien achever un jour ou un autre, six pieds sous terre et le pissenlit entre les dents.

Elle s'approche. Je le sens. Je sais que le temps m'est compté désormais, que je perds mes cheveux, que je dois trouver vite un sens à ma vie. Il y a ma femme, idéaliste éperdue; il y a mon fils, un ange qui m'est échu. Déçu? Je ne le suis nullement. Je voudrais juste compter pour ceux qui restent, qui continuent à rêver, tout simplement.

Je m'accroche. J'attends, nu comme un vers à la Houellebecq, le compte en banque à sec. Il est encore temps de refaire ma vie comme au premier jour, de renaître à chaque mot, chaque verre. Je pense à ma femme, mon fils, mon père, ma postérité. Je voudrais juste pouvoir compter les jours qui me séparent de l’éternité.

Mais attendez! J'entends frapper...


"Je t'aime, je t'aime" d'Alain Resnais

Il me faut faire court. Le temps presse. Personne n'a le temps de me lire ou alors j'ennuie. Pas de style, pas de fond. Au fond, pas le temps. Rester sur l'essentiel et l'air du temps, c'est ce qui importe. Je cherche. Je cherche. L'amour c'est l'essentiel, certes, mais y penser me blesse. Comment s’y prendre ? J'entends des rires. Je pose mes doigts sur mes lèvres. Mes pensées, je vous les offre comme un baiser. J'ai toujours cru que vous les partagiez. Penser à quelqu’un, y penser fort, c'est comme ne rien penser, n'est-ce pas ? Les marques d'affection à moins qu'elles ne se remarquent ne laissent aucune trace. C'est ici que je les laisse pourtant. Autant de lettres d'amour sans destinataire; tant de regrets et d'envies, de bouteilles à la mer. Mais je ne suis pas seul à attirer l’attention, à chercher l'autre et sa compassion. Je vois toutes ces photos d'enfants grandir, à venir, sur Facebook, sur Instagram. Je vois le mien, si beau, si touchant. Je vois ces joies, ces mariages à foison, ces amis autour d'une table ; un frère au sud, un frère au nord, mes parents au centre de tout ; ces paysages magnifiques, ces horizons indépassables. Je sais que c'est l'essentiel, mais tout cela m’échappe.

mardi 14 novembre 2017

"Wonder Woman" de Patty Jenkins

Signe des temps, Wonder Woman s'impose dans l'univers testostéroné des super-héros. Elevée dans la ferveur d'un père tout puissant et la crainte d'un amant westeinien, elle s'octroie tous les attributs machistes, du fouet esclavagiste au phallus-glaive, pour mettre à bas les démons des hommes, et empaler des armées de goujats médusés par son amour ravageur. Elle s'en va jusqu'à émasculer la flèche de l'Église et son patriarcat mâtiné de bons sentiments au paternalisme sirupeux. Elle n'hésite pas non plus à mettre à mal sa féminité pour pulvériser ces fantasmes masculins désormais si honteux et dissiper leur miasme musqué aussi toxique que capiteux.

Signe des temps, Wonder Woman s'amourache d'un brave soldat dont la seule ambition n'est plus tant de sauver le monde de son manichéisme castrateur, que d'immortaliser le jour où il succombe, la fleur au fusil, au charme irrésistible de l'égalité des sexes. 

mercredi 23 août 2017

"Ecrire ou mourir" de Michel Houellebecq


Ecrire est un cri que personne n'entend, une bouteille à la mer que la mer emportera. C'est à toi que je m'adresse, toi qui m'attend là-bas. Je t'écris la critique d'un film qui ne verra jamais la nuit. Une missive lancée vers l'inconnue. Imagine un mouvement lent, un son assourdissant. Regarde ton écran. Tu saisis? Je suis dans les entrelacs de son scintillement. Discontinu, je ne fais sens qu'une fois sur deux. A nous deux nous ferons sens.

Ecrire est un cri qui ne fait aucun bruit. Entends-tu la mer emporter tes sens? Je m'adresse à une adresse inconnue et attends que la nuit déroule son film. Un mouvement assourdissant. Me vois-tu scintiller dans la lenteur de notre pas de deux? A nous deux nous referons le monde sur grand écran. 

Ecrire c'est aimer l'inconnu, boire tout son soûl. Je t'envoie ce missile qui te mettra à nu. Je vois ton corps se mouvoir lentement et m'inviter dans la danse. Je ferme les yeux et savoure l'explosion de mes sens. C'est tout. 

Ecrire c'est vivre maladroitement. Un peu de sens, un peu de bruit qui résonne à l'infini. A chaque mot je renais, je fuis. A chaque ligne je perçois la suivante qui m'emportera vers un horizon vague. 

Ecrire c'est mourir aux yeux de tous. Lentement. Infiniment. Je divague. Si j'avais su. Si j'avais bu. A nous deux nous aurions tout fait au vu et au su de tous. Nous nous serions aimés entre la mer et l'horizon, dans les yeux, à l'unisson. 

Le temps d'un film.

dimanche 13 août 2017

"Life is Strange", Saison 2, Épisode 2: "Game Over"


Pour une expérience optimale, activez votre caméra et votre microphone.

Ma première sensation est une sensation de chaleur. Assis dans un fauteuil à la terrasse d'une large villa, je suis attablé devant un carnet noir ouvert sur des feuilles blanches. Je peux tourner la tête et faire le tour d'horizon d'un paysage d'été. Quelques cyprès laissent entrevoir une mer se diluant dans un ciel azur tacheté de voiles au trait clair.

Qu'est-il attendu de moi?

Je ne peux me déplacer sinon mon curseur sur la première feuille blanche. Je tape au hasard sur mon clavier. Les lettres s'inscrivent dans un style calligraphié. J'essaie de les effacer mais ne produis que des ratures. 

Dois-je écrire?

Je suis attablé à la terrasse d'une villa, un carnet ouvert devant moi. Un oiseau noir se pose sur la rambarde. Je l'observe et me viennent à l'esprit des images de films et de jeux vidéo où ces piailleurs ont souvent un rôle funeste.

Un autre se pose à côté de l'autre. Puis un autre corbeau. Un papillon bleu me distrait un instant avant de se dissoudre dans le ciel ou la mer. Je baisse la tête: des dizaines d'oiseaux noirs trépident sous mes yeux. Je suis cerné. Ils s'agitent, croassent puis soudain se jettent sur moi dans un froissement d'ailes. 

Écran noir.

Je me réveille dans un lit d'hôpital. Un docteur me tâte le poul.

– Comment te sens-tu?

L'icône en forme de microphone apparaît.

Je réponds sans conviction:
– Bien.
– Je suis heureux de l'entendre, me répond-il distraitement en allant s'asseoir près de la fenêtre. Il sort un carnet noir identique au mien. Il y griffonne des mots d'une courte plume. Je l'entends indéfiniment griffer le papier.

Dois-je parler?

– Je ne sais quoi dire.
– Parle moi de tes peurs.

Parler de ses peurs à un écran est un tant soit peu ridicule.

– J'ai peur de ne plus avoir le temps de laisser ma trace, lancé-je.
– Continue.
– J'aimerais créer un jeu vidéo qui ne serait pas ludique.
– C'est-à-dire?
– Une histoire frustrante qu'on ne pourrait sauter, sauver, pauser ou même arrêter avant d'avoir vécu la fin.
– La vie peut-être.
– La vie sûrement.
– Pourquoi un jeu vidéo?
– Parce que plus personne ne lit ou ne regarde religieusement. Tout se doit être ludique, interactif, gamifié; même le cinéma; même la littérature. On se joue de tout.
– Faisons une pause ici. Reprenons demain.

Le docteur se dirige vers un flacon de perfusion dominant mon lit comme la lanterne d'un navire. Il y tourne un petit robinet et l'image se trouble.

Écran blanc.

Je suis de nouveau face à une feuille blanche sur la terrasse d'une imposante villa. Le soleil est aveuglant. Les cyprès s'élancent comme des traits noirs vers une mer étale et un ciel sans nuage. Il n'y a pas d'oiseau sur la rambarde. Devoir réécrire la baratin de la première fois me fatigue déjà.

Dois-je continuer de jouer? 

10,9,8,7,6,5,4,3,2...

Je suis de nouveau face à la page blanche. Le soleil est agressif et les cyprès menaçants. Il n'y a pas d'oiseau sur la rambarde. Parler de ces créatures inquiétantes me fatigue. Je désire l'écran noir à défaut de changement de perspective. J'écris pour que ces parasites me dévorent, mais rien ne se passe. Je perds patience et écrase mes mains sur le clavier avec violence. 

La vue a changé. Je me suis légèrement déplacé. J'appuie sur les flèches de mon clavier et m'éloigne de la table et du carnet. Je fais le tour de la terrasse et entre dans une pièce où la pénombre règne. J'ajuste la luminosité de mon écran mais les noirs deviennent des aplats de gris. Rapidement je comprends que je ne peux me mouvoir que dans le périmètre défini par les projections de la lumière du soleil. Les zones d'ombre sont des murs invisibles. 

Je joue avec les volets des fenêtres et les persiennes pour éclairer une porte au fond de la pièce. Je l'ouvre et illumine le seuil d'un couloir où au loin j'aperçois une lueur qui me fait soudainement prendre conscience de mes battements de coeur. Elle m'attire irrésistiblement, mais plus j'essaie de m'en rapprocher, plus elle s'éloigne. Derrière moi, la lumière devient fauve. Je me retourne sur un terrifiant coucher de soleil qui envahit ma vision. Lui échapper m'est impossible, son attraction irrépressible. Cette boule de feu s'enfle et s'enflamme à vue d'oeil alors qu'elle plonge dans une mer de sang. A mes pieds, les rayons s'amenuisent, s'effilochent et laissent le paysage d'été glisser dans le néant.

Écran noir.

Je suis de nouveau dans le lit d'hôpital. Le docteur est à la fenêtre et noircit son carnet. 

L'icône 'microphone' apparaît.

– Ce jeu m'ennuie, soupiré-je.
– Ce n'est pas un jeu.
– Qu'attendez-vous de moi?
– Penses-tu que la vie se rembobine comme un film, que les moments désagréables se passent comme des cinématiques, et les moments heureux se revivent à l'envi comme des sauvegardes? 
– Je sais faire la différence entre le réel et le virtuel.
– C'est ce que nous allons voir.

Alors que je finis d'écrire cette dernière phrase, il se dirige vers le flacon de perfusion et tourne le petit robinet comme il éteindrait la lumière avant d'aller se coucher.

L'image laisse place à une page blanche.

J'ai peur d'avoir perdu mon temps à jouer aux jeux vidéo, à écouter le flot de mes souvenirs, à regarder les autres vivre sur petit et grand écran. Je n'ai pas pris le temps de jouer avec les mots, de les mettre en musique et d'écrire ce que j'ai vécu.

La nuit est déjà tombée. Je peux me déplacer sur la terrasse à loisir, entrer dans l'antichambre de mon inconscient et suivre le fil de ma pensée dans un couloir obscur et exigu. 

Au bout de la nuit je rejoins cette lueur si douce. C'est une porte dont seule l'embrasure de lumière révèle la présence. Je l'ouvre et découvre une petite chambre presque vide mis à part une chaise et un bureau. En son centre, l'écran d'un ordinateur me fait face. Je m'assois devant et l'allume. Une led verte crépite et grésille. L'écran s'illumine et me donne à voir mon propre visage. 

Je l'observe un temps. Il n'est pas synchronisé avec mes mouvements; probablement un enregistrement. L'icône 'microphone' clignote. Il faut que je dise quelque chose. 

– Je ne sais quoi dire.
– Qui es-tu?

Ma propre image questionne mon identité.

– Personne, repondé-je instinctivement.

Elle reste impassible, puis me demande sur un ton blasé:

– Que dois-je faire pour terminer ce jeu stupide?
– Joue!

C'est la seule réponse qui me vint à l'esprit. Mon image grimace, lève les yeux au ciel et se lance dans une violente diatribe:

– C'en est assez docteur! Ce jeu est non seulement ennuyeux mais cette intelligence artificielle pauvre. Mon image ne fait que répéter des mots déjà prononcés. Ce n'est pas crédible!
– Il faut que tu ailles au bout de cette histoire, rétorque-t-il.
– Je n'en vois pas l'issue!

Il baisse les yeux sur moi et pour la première fois depuis le début de ce jeu, je ne suis plus bien sûr que c'en est un. 

– Je sais faire la différence entre le virtuel et le réel! , m'enervé-je. 
– Vraiment? Alors comment se fait-il que tu répètes ce que tu as déjà dit comme un robot?
– Je ne sais quoi dire.
– Exactement.
– J'ai peur...
– C'est bientôt fini.

Il lève à nouveau les yeux au ciel:

– Docteur, si mon double le consent, mettrez-vous un terme à ce jeu de dupes?
– Si tel est votre souhait.

Mon visage me dévisage:
– Peu importe ce qui réel ou virtuel, que tu sois mon reflet ou mon âme, mettons fin ensemble à cette histoire.

Je réponds alors avec conviction: 
– Bien.
– Je suis triste de l'entendre, répond le docteur tendrement en levant la plume de son carnet.

L'écran s'éteint. Pour la première fois je ressens une sensation de chaleur. Ma pensée s'égare et ma vision se diffracte en de multiples losanges bleutés.

samedi 5 août 2017

"Blade Runner 2049" de Denis Villeneuve


Peut-on critiquer un film que l'on n'a pas vu? Il est rare qu'un auteur - qu'il soit de cinéma ou de tout autre chose - sache se réinventer. Que l'on soit génial ou médiocre, on ressasse la même histoire, de l'enfance fantasmée à la vieillesse si redoutée. 

Denis Villeneuve raconte des histoires uniques qui n'en font qu'une, une histoire de famille qui se répète de film en film. D'un drame sanguin à un thriller terreux, que l'enfance soit déchirée, sacrifiée ou préservée, il sérine la même chanson dont seules la mélodie et la rythmique changent d'un air à l'autre. 

Persuadé de se renouveler ne se rend-il pas compte qu'il ne fait qu'approfondir son oeuvre cinématographique? N'aurait-il seulement le désir de la bâtir s'il savait qu'un nouvel amour n'était que la réminiscence d'un ancien? En tout cas elle ne saurait se compromettre dans les interminables compromis commerciaux imposés par la Warner, et je n'ai aucun doute que Blade Runner 2049 sera un film sur l'enfance d'un petit chef-d'oeuvre de science fiction qui échappa lui-même à son auteur, Ridley Scott.

Alors oui on peut critiquer ce que l'on n'a pas vu tant que l'on s'efforce d'imaginer la variation nouvelle d'une vieille antienne.

Le film de Ridley Scott n'a pas grand-chose à voir avec le roman dont il s'inspire. Il s'attarde sur ce fantasme de l'homme moderne de donner une âme à des machines alors qu'il doute lui-même d'en avoir une. C'est cet homme qui veut prendre la place de son createur que Ridley Scott méprise. Que cela soit en 1492, 2019 ou 2049, il n'explore pas seulement de nouvelles terres celluloïdes, mais son propre dédain pour une humanité mue par cette force monstrueuse, dévorante et baveuse - la vie - qui n'engendre que destruction. Il se propose sans état d'âme de l'avorter au sens propre et figuré tout au long de son sinueux chemin de croix cinématographique.

Denis Villeneuve a quant à lui consacré son dernier opus à sauver une vie condamnée à ne faire sens si ce n'est dans les détours extraordinaires de la science fiction. Qu'elle soit brisée ou éphémère, ses films sont des odes à la vie.

Un misanthrope et un philanthrope unissent ainsi leurs contradictions pour répondre aux questions qui hantent des hommes orphelins de toute transcendance. 

Le monde ne se porterait-il pas mieux si l'homme cédait sa place à un robot dénué de cette puissance contre-nature qui le pousserait à sacrifier le monde où il est venu pour conquérir celui où il n'ira jamais?

Le monde ne se porterait-il pas mieux si l'homme abandonnait ses rêves d'immortalité dont celui d'animer des intelligences si artificielles?

Le monde ne se porterait-il pas mieux si l'homme ne se prenait plus pour son propre créateur et acceptait sans broncher sa condition d'ouaille corvéable à merci qu'elle soit électrique ou non?

Le monde du cinéma enfin ne se porterait-il pas mieux si les studios hollywoodiens cessaient de ressasser les mêmes histoires?

Je ne doute pas que Blade Runner 2049 répétera maladroitement comme un enfant l'histoire qui fut à l'origine d'un succès critique et commercial inattendu. Je ne doute pas non plus qu'il échappera à son auteur, son producteur et la Warner telle une créature se jouant de son créateur. Sa beauté formelle qui transpire de sa bande-annonce fait rêver d'un film qui crèvera l'écran pour en révéler la mécanique morphéenne.

dimanche 23 juillet 2017

"The Lost City of Z" de James Gray


Les cheveux dans le vent, Percy Fawcett poursuit le train de ses pensées au coeur de l'Amazonie. Des souvenirs heureux défilent sous ses yeux commes des visages insaisissables sur des quais de gares anonymes. Le regard fixé sur son horizon funeste, les paysages se confondent et son esprit divague. Loin de la superficialité de son monde, rien ne pourra plus l'empêcher de s'elancer le coeur battant vers ses rêves de profondeur. Rien ne pourra plus l'arrêter, ni les amours passées ni une mort certaine. Les cheveux dans le vent, Jack Fawcett laisse rouler quelques larmes sur ses joues comme autant de preuves d'une civilisation perdue entre ici et l'infini.

mercredi 19 juillet 2017

"Sexe, mensonges et vidéo" de Steven Soderbergh


La vie est un tissu de mensonges. Rares et douloureux sont ces moments qui froissent les esprits et déchirent les cœurs. Graham, le héros très discret de cette jeune palme d’or, sait combien la rumeur d’une vérité inavouable peut coûter à une existence sans éclat ni fracas. Il connaît le prix de ce silence qui voile ces mille et un visages de notre quotidien. C’est ce silence que notre confesseur cathodique veut briser en recueillant des secrets de femmes sur le divan de son salon. C’est dans son intimité que notre vidéaste amateur découvre leurs visages troublés par le souvenir d’une première fois. C’est au son de leurs voix langoureuses qu’il s’épanche aussi, et se prend à rêver de cet instant où les brûlures du désir s’apaisent sous quelques larmes de pluie.

mardi 9 mai 2017

"Twin Peaks: Le Retour" de David Lynch


La série culte de David Lynch est de retour. Lui qui a fait ses adieux au grand écran, investit de nouveau le petit, ce jardin abandonné aux mauvaises frayeurs rampantes et bons sentiments sirupeux. Ce bouillon de sous-cultures, David Lynch le connaît bien. Il y a cultivé les nymphéas de ses obsessions et pêché ses plus belles idées. Des vidéos amateurs de Lost Highway à la mise en abyme télévisuelle d’Inland Empire, en passant par l’ouverture cathodique de Twin Peaks: Fire Walk With Me, le petit écran n’a eu de cesse de nourrir le grand œuvre de David Lynch. C'est cette boîte à images qui meuble la chambre obscure de notre inconscient et du sien, et fait partie de notre quotidien bien plus que le cinéma. Lynch a bien essayé d'émouvoir le grand public à travers ses films, mais a surtout touché le petit club des cinéphiles. La série télévisuelle Twin Peaks fut l’exception. Elle lui permit d’emporter l’enthousiasme d’un public bien plus large.

Ce retour aux sources de sa série culte répond probablement à son envie de faire de nouveau chialer tous ceux qui ont perdu le sens des télé-réalités. Faire vibrer les amateurs des super-pornos de Marvel et trembler les adorateurs des zombies du PAF. Nous faire passer de l’autre côté du miroir médiatique. Nous faire pénétrer la chambre rouge d’Hollywood, la fabrique à rêves, le cauchemar de tout réalisateur qui veut donner de la profondeur à un cinéma trop formaté et superficiel.

Hollywood, c’est là-bas que nous vivons tous, l’antichambre où se forment nos opinions et se perdent nos illusions. Hollywood, ce succube qui aspire à nous retirer tout désir d’investir le réel, lui qui a tout empire sur nos sens, il donne aux petits la folie des grandeurs et aux grands de ce monde l’ivresse des pires bassesses. Petit à petit, du grand au petit écran, des fakes news au storytelling, il nous transforme en spectateur apathique de la chute de nos démocraties.

David Lynch reviendra peut-être à ses premières amours, la rose bleue, l’héroïne de sa jeunesse : Feue Marylin. La nymphe, le diptyque, elle, lui, qui dans l’amour se sont perdus, se sont trouvés. Eprise de détours, jumelle dans ses atours, cette double vie s’écroula sous nos regards ahuris et nos esprits abrutis par l’industrie du divertissement. Des paillettes, des étoiles, elle a été engouffrée par Hollywood et dévorée par sa machine à nous raconter des histoires. Nous avons déjà oublié, nous l'avons déjà rangée dans notre collection de films et séries télé à ne plus regarder. Le passé est bien vite passé. Il ne tient qu’à un fil de poussière, une poudre de perlimpinpin, qui nappe nos souvenirs sérialisés.

Aide-nous David à atteindre des sommets de beauté et quitter ce monde des images en douceur, aide-nous à trouver les mots qui auront un jour prise sur nos cœurs et notre destin.

lundi 13 mars 2017

"Moonlight" de Barry Jenkins


Film oscarisé à rebours, Moonlight échappe au crédo hollywoodien habituel où le message au monde du cinéma se doit d’être limpide. Divisé en trois chapitres, Il nous conte l’histoire de Chiron, un jeune noir de la banlieue de Miami suivant ce qui semble être un parcours linéaire, de Little, l’enfant qu’il fut, à Black, l’adulte qu’il sera. Cependant le récit que certains jugeraient prévisible se termine sur un plan qui nous amène à nous refaire le film. Qui était vraiment Chiron ? Se définissait-il par son nom, sa couleur de peau ou sa sexualité ? Ou le bleu profond de l’océan ?

Son identité est mouvante et tangue d’un côté vers une sensibilité à fleur de peau et de l’autre vers une virilité de circonstance. Blanc ou noir, homo ou hétéro, dominant ou dominé, Moonlight se situe bien au delà de ces alternatives binaires. Il cultive la poésie de l’ambiguïté, cette fleur fragile qui ne peut s’épanouir dans un cœur de pierre et rester de marbre face à l'injustice et la haine.

Chiron mène sa barque en marge des conventions et s’attire rapidement des flots de quolibets et des déferlantes de violence. Il emporte alors Little dans un voyage funeste et s’échoue sur les rives arides d’une société où la survie dépend d’un corps et d’une âme sculptés à l’épreuve du feu. Il devient Black, dealer de drogues à la petite semaine et amateur d’un hip hop testosteroné, un roc à mille lieues d’une mère brisée par les relents du crack et les élans d’une concupiscence masculine destructrice.

Rien ni personne ne semble pouvoir percer cette roche volcanique où ne brule plus aucune passion ; jusqu’à ce qu’un un coup de fil réveille en Black cette flamme qui l’empêcha de sombrer enfant dans l’onde saphir, l’appel d’un ami intime et le souvenir d’une première fois, la seule fois où il se sentit en vie avant de se renier pour la gagner, la dernière fois où il fut trop faible pour la prendre à bras le corps et trop fier pour s’y jeter à corps perdu.

lundi 6 mars 2017

"My Scientology Movie" avec Louis Theroux vs "Elle" sans Paul Verhoeven


Que peuvent bien avoir en commun ces deux films à facture si étrangère ? L'athéisme? Une vision flegmatique et une autre cynique d’un monde sans Dieu ?

Lui - Louis Theroux - y croit peut-être encore à ce chemin de croix qui donnerait accès un monde sans illusion, sans Hollywood.

Elle, elle est nulle et encore moins que cela dit-elle, en dessous de la ceinture et bien au-delà d’un thriller érotique basic. Elle est sans foi ni loi.

Ne sont-ils pas tous deux déconnectés du réel ? Le documentaire de l'un est une œuvre de fiction sur une religion qui n'en est pas une et le film de l'autre n’est qu’un étrange document visuel sur l’état inquiétant d’une société accro à la fiction.

Dans ces deux cas cliniques, je vois des mondes en-deçà de la réalité où je finirais par me perdre, de multiples niveaux d’interprétations dont le sens n’aurait de cesse d’être insondable et le game over inaccessible.

J’y cherche l’Humain d’abord, mais faute de le trouver, je me dis souvent que ce serait mieux s’ils s’en allaient tous, tous ces faiseurs de rêves et de cauchemars. Perdrais-je la foi en le cinéma, cette machine à songes qui emporte mes sens parfois, mais me claque la porte au nez quand le réel se fait trop sentir ? Comme Elle, je questionne toutes ces images aussi proches de ma réalité soient-elles, mais ce ne sera (mal)heureusement pas la violence qui leur donnera substance.

Le héros de "My Scientology Movie" est un paria, une ancienne sainteté du dernier sanctuaire des déçus de toute autre transcendance, qui a explosé après que son maître ait lui-même pété une durite et quelques mâchoires. Il a quitté le navire sectaire et est revenu sur terre pour s’embarquer dans ce projet de reconstitution d’une douleur réelle avec le guru très british du documentaire. Rejouer et revivre par l’entremise de la fiction cette scène d’une violence décisive où, malgré son long entraînement à maîtriser toute émotion, il a tout lâché. Et tout cela ponctué des regards bienveillants et des pieux silences du divin Louis Theroux.

L’héroïne, Elle, est Isabelle Huppert, presque belle, presque désirable, une fleur fanée qui pique, se déchire et traite ses employés, ses amants, ses proches, son fils, tout son monde avec condescendance. Elle donne et encaisse les coups sans broncher, presque avec le sourire. Elle ne verse pas une larme pour son réalisateur, son maître, qui de film en film, s’enferme dans une carcasse où l’émotion ne transperce plus. L’amour, il n’y croit pas ou n’y croit plus, si ce n’est peut-être sans violence, sans rixes, sans vie, sans homme.

Supprimer l’émotion par tous les moyens de coercition possibles pour mieux la contrôler. Devenir insensible à cette souffrance ambiguë d’être à la fois mortel et infini. Serait-ce le thème commun de ces deux films? Quelle serait donc cette affliction dans la vie du Louis adolescent qui fit trembler l’aiguille du temps et cette émotion fébrile et souvent inattendue que les scientologistes ne sont pas les seuls à vouloir pulvériser à coups de poings, de dogmes et de gifles ? Quelle serait donc cette folie qui me donne la force d’avancer un pas après l’autre, à chaque jour sa peine, sa joie?

La possibilité d’une île lointaine peut-être où se languirait une tortue rouge.

samedi 18 février 2017

"La la land" de Damien Chazelle


Dans deux mois nous serons amenés à voter pour le prochain président de la République Française. Dans l'attente d'un renouveau qui se fait languir, les rêves se noient dans les désillusions et les illusions font loi. Pencher à droite, pencher à gauche, le balancier politique rythme la même petite musique tous les sept ou cinq ans, orchestrée par nos médias ronflants et serinée par nos petits politiciens à la langue de bois.

Mais quel est ce bruit de fond? La mondialisation? Elle fait battre le coeur de l'Europe, de la France, trop vite, trop fort; plus personne n'arrive à suivre, les cordes se brisent, les cors s'essouflent; nous ne pensons plus qu'à survivre, négligeant nos proches, nos racines, oubliant que nous revenons de loin, de ce pays où nous pouvions encore fredonner la la la nonchalamment et nous aimer sans penser au lendemain.

vendredi 6 janvier 2017

"La loi du marché" de Stéphane Brizé


La loi du marché de Stéphane Brizé se termine sur Black Sands de Bonobo, une musique à la fois moderne et désuète. Son film précédent, Quelques heures de printemps, se finissait sur un morceau envoûtant de Warren Ellis et Nick Cave composé pour un autre film, L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Tout ça pour dire que les héros de Stéphane Brizé retiennent souvent leurs émotions jusqu'à ce qu'elles nous emportent dans une envolée lyrique inattendue.

Ce choix musical qui pourrait paraître incongru dans un film dit 'social' fait exploser le cadre de ce cinéma vérité dont les frères Dardenne sont devenus les chantres les plus médiatisés. Ces metteurs en scène du quotidien déploient des efforts surhumains pour coller à la réalité, éviter les écueils de la surenchère, de la dramatisation, du mélo, de la fiction, du cinéma hollywoodien somme toute. Pas ou peu de musique; des acteurs de la 'vraie vie'; unité de lieu, de temps et d'action. Il faut se contenter de peu pour capter la vérité et d'un rien pour sombrer dans l'ennui.

Cette réalité cinématographique, à laquelle le personnage de Vincent Lindon et le spectateur se confrontent dans La loi du marché, fait l'effet d'une douche froide. Elle nous coupe le souffle et nous empêche d'exploser en pleurs. Elle désenchante et abrutit. Cette réalité des dialogues désabusés avec l'administration de Pôle Emploi, des entretiens d'embauche humiliants, des interminables vidéos de surveillance, des fins de mois impossibles à boucler, des joies tristes, des larmes sèches; cette réalité, aussi juste et poignante soit-elle, nous laisse K.-O.

Comme ce héros de ce cinéma sans effet spécial, nous voulons nous enfuir, porté par la musique moderne et désuète de Bonobo, et nous précipiter dans l'écran noir, là où notre imaginaire recouvre sa liberté et s'envole vers des histoires extraordinaires, des personnages larger than life, des galaxies far, far away.