samedi 27 janvier 2018

'Inside' de Playdead


Extérieur/ Intérieur: sortir du bois; sortir de soi. Les yeux rivés sur mon iPhone, je ne vois pas grand-chose de cette nuit dense. Du bout de mon index, j'explore une histoire obscure que je ne veux pas comprendre. Je suis un enfant en fuite. Je le serai toujours. S'émanciper, n'est-ce pas notre but à tous ? Retour à l'écran.

Il est difficile de prêter attention aux détails; il faut avancer le coeur battant. S'ouvrir au monde des possibles, c'est enivrant au début; puis on s'habitue à l'impossible. Le plaisir et la souffrance de la linéarité, il n'y a que ça de vrai. Qui apprécie vraiment la liberté ? Des liens familiaux aussi forts que ténus; des amitiés aussi charnelles que fragiles; et des amours qu'on rêve enflammées et voit s'éteindre dans des silences étouffants. Qu'y a-t-il de plus apaisant et chaleureux qu'un feu mourant ? Je perds le fil du scrolling parallaxe alors que le plan suit sa séquence comme un orgue dévorant sa musique.

Il y a des caissons singuliers dans le décor. Que font-ils au milieu d'une forêt ? Les scories d'un passé futuriste. Des voyageurs du temps. Eric Chahi. Another World. Half Life. Passons. Les jeux vidéo n'ont pas d'histoire. Le présent ludique est poisseux. Je me retrouve au milieu d'une ferme où jonchent des cadavres de porcs. Je continue mon chemin et laisse ma pensée s'égarer dans les répliques médiatiques du séisme Weinstein.

Je me souviens d'avoir aimé cette fille de ma classe préparatoire pour les hautes études commerciales. Ma concupiscence était aussi irrépressible que ma volonté névrotique d'y résister. J'avançais à pas de loup, déployant des trésors de romantisme désuet, mais mon incapacité à lui voler un baiser devait tant l'exaspérer que lui vint l'idée ou peut-être le désir inconscient de me trouver un rival. Elle jeta son dévolu sur un de mes amis qui médusé par son charme finit par me haïr et me mettre à genoux. Sa démonstration de violence bête et méchante à mon égard eut raison des atermoiements de la belle; elle se jeta dans les bras de son vainqueur dont la bile et l'aigreur l'érigèrent à ses yeux au rang d'irrésistible séducteur. Elle ne voulait pas que je sois charmant, prévenant, gentil. Elle voulait que je lui rentre dedans comme un porc.

Je suis cet enfant qui rêve de pouvoir user de son imaginaire pour réveiller cette nature que nous - zombies du quotidien - avons oubliée, cette rage, cette violence, qui malgré ses débordements monstrueux parfois, amèneront à pas de loup, l'humanité à embrasser son aube dorée.

Leda and the Swan

A sudden blow: the great wings beating still
Above the staggering girl, her thighs caressed
By the dark webs, her nape caught in his bill,
He holds her helpless breast upon his breast.

How can those terrified vague fingers push
The feathered glory from her loosening thighs?
And how can body, laid in that white rush,
But feel the strange heart beating where it lies?

A shudder in the loins engenders there
The broken wall, the burning roof and tower
And Agamemnon dead. Being so caught up,
So mastered by the brute blood of the air,
Did she put on his knowledge with his power
Before the indifferent beak could let her drop?

W.B. Yeats



lundi 18 décembre 2017

"La quatrième dimension", Saison X, Episode 1: "Entrez!"


Ma porte, elle s'ouvre avec la clé de l'imagination. Au delà, il y a une autre dimension. Une dimension sonore, visuelle, mentale, un royaume fait d'ombres et de l'essence de toute chose, des objets de ma pensée et de sujets insensés.

Bienvenue, les amis ! Vous venez d'entrer dans ma quatrième dimension à la con.

Je me présente: Jeffrey Beaumont, la quarantaine mal assumée. J'ai manqué mon adolescence - elle m'est passée sous le nez - et ne sais m'en extraire, gardant les illusions et les maladresses de mes jeunes années, tout comme les envolées lyriques et décalées de ceux qui ne sauront jamais aimer.

J'écris de temps en temps. Je crois que mon salut réside à la dernière page d'un roman inachevé. A quoi bon vivre si tout a une fin? Vivre sans avoir vécu, c'est vivre sans fin, n'est-ce pas? Je crois en cette idée qu'il faut mieux être un écrivain raté qu'un raté tout court, mais je suis déjà à court d’idées et je passe à la suivante, celle qu'il faudra bien achever un jour ou un autre, six pieds sous terre et le pissenlit entre les dents.

Elle s'approche. Je le sens. Je sais que le temps m'est compté désormais, que je perds mes cheveux, que je dois trouver vite un sens à ma vie. Il y a ma femme, idéaliste éperdue; il y a mon fils, un ange qui m'est échu. Déçu? Je ne le suis nullement. Je voudrais juste compter pour ceux qui restent, qui continuent à rêver, tout simplement.

Je m'accroche. J'attends, nu comme un vers à la Houellebecq, le compte en banque à sec. Il est encore temps de refaire ma vie comme au premier jour, de renaître à chaque mot, chaque verre. Je pense à ma femme, mon fils, mon père, ma postérité. Je voudrais juste pouvoir compter les jours qui me séparent de l’éternité.

Mais attendez! J'entends frapper...


"Je t'aime, je t'aime" d'Alain Resnais

Il me faut faire court. Le temps presse. Personne n'a le temps de me lire ou alors j'ennuie. Pas de style, pas de fond. Au fond, pas le temps. Rester sur l'essentiel et l'air du temps, c'est ce qui importe. Je cherche. Je cherche. L'amour c'est l'essentiel, certes, mais y penser me blesse. Comment s’y prendre ? J'entends des rires. Je pose mes doigts sur mes lèvres. Mes pensées, je vous les offre comme un baiser. J'ai toujours cru que vous les partagiez. Penser à quelqu’un, y penser fort, c'est comme ne rien penser, n'est-ce pas ? Les marques d'affection à moins qu'elles ne se remarquent ne laissent aucune trace. C'est ici que je les laisse pourtant. Autant de lettres d'amour sans destinataire; tant de regrets et d'envies, de bouteilles à la mer. Mais je ne suis pas seul à attirer l’attention, à chercher l'autre et sa compassion. Je vois toutes ces photos d'enfants grandir, à venir, sur Facebook, sur Instagram. Je vois le mien, si beau, si touchant. Je vois ces joies, ces mariages à foison, ces amis autour d'une table ; un frère au sud, un frère au nord, mes parents au centre de tout ; ces paysages magnifiques, ces horizons indépassables. Je sais que c'est l'essentiel, mais tout cela m’échappe.