dimanche 24 avril 2016

"Life is Strange", Saison 2, Episode 1 : "Les oiseaux"

Entre rêve et réalité, « Life is Strange » brouille les codes du jeu vidéo d'aventure classique en nous incitant, au fil de ses épisodes, à rembobiner le film de nos souvenirs et déjouer les détours souvent funestes du destin. Sauver une vie qui nous est chère ou la ville de notre enfance, tel est un des nombreux dilemmes cornéliens que propose ce jeu aux détours scénaristiques multiples et aux décisions si déchirantes parfois qu’elles pourraient arracher quelques larmes aux joueurs abrutis aux headshots.

Ces émotions, si rares dans les jeux vidéo, se cacheraient-elles dans les interstices de la motion capture, du choix musical, des longues focales ? Ou brilleraient-elles tout simplement dans ce regard tendre porté sur les atermoiements de l’adolescence ? Il est toujours difficile de savoir ce qui peut embraser les cœurs et entretenir, au fil des saisons, la flamme des premières amours.

Il serait cependant bien surprenant que Dontnod, le développeur de « Life is Strange », n’aie pas déjà envisagé les ressorts scénaristiques qui permettront de retrouver dans une seconde série le ou les personnages clés du premier chapitre, ainsi que les éléments de son succès. Attendons-nous à effectuer de brefs voyages dans le temps et à revivre les mille et une variations de nos souvenirs immortalisés au polaroid.

Mais sans plus attendre, entre rêve et réalité, laissons-nous donc prendre au jeu et imaginons ce que pourrait nous réserver la deuxième saison de « Life is Strange » .

« Life is Strange », Saison 2, Episode 1 : « Les oiseaux ».

Ouverture au noir.

Max, l'héroïne de la première saison, se réveille dans une pièce faiblement éclairée. Ni porte ni fenêtre. La photographe en herbe est cernée de quatre murs tapissés de centaines de polaroids. Chaque photo est une photo d’elle prise de dos face à un mur criblé de photos. Caressons la souris et l’envie de fuir cette mise en abyme magrittienne.
Ni porte ni fenêtre. Quatre murs tapissés de clichés. A y voir de plus près, les photos ne semblent pas exactement les mêmes. Dans certaines photos, certaines photos manquent. Des espaces vides attendant d’être comblés et le désir insatiable de tout joueur de vouloir progresser. Choisissons un cliché et usons de ce pouvoir de sonder les défaillances de cette mémoire sensible.

L’introspection se dilue dans un flash blanc.

[…]

Max se réveille dans une pièce faiblement éclairée. Ni porte ni fenêtre et un mur de photos pour seul cadre. Quelques espaces restent encore à être remplis. Continuons à nous y projeter pour remonter à la source même de ce mauvais rêve.

[…]

La même pièce, la même lumière tamisée. Quelques taches rouges sur le sol. Max saigne du nez. L’effort de se replonger dans le passé - même immédiat - rend le présent plus difficile à recouvrer.

[…]

Une mare de sang. Max n’a plus la force de se relever, sinon le regard sur elle-même face à l’absurdité.

Sa tête retombe et heurte le sol dans un claquement sec.

Fondu au noir.

[…]

Le noir persiste, le joueur s’impatiente. Les boutons de la souris ne répondent plus. Pas un son, pas un bruit.

Le silence et la nuit.

Reste la touche [Escape] tel un geste éperdu.

 L'écran s’éteint dans un petit éclair blanc.

[…]

« Peace Piece » de Bill Evans
Une allée de palmiers. Une avenue mille fois empruntée par le cinéma hollywoodien. Le soleil est au zénith et une légère brise emporte quelques impressions fugaces. Je m’hasarde à déplacer la souris et la vue se décale sur une rangée de beaux pavillons. Qui suis-je ? Max ou la fille aux cheveux bleus ? Il me suffirait de regarder mes pieds s'avancer vers l’inconnu, mais une force me retient, m’empêche de me voir. Je ne suis qu’un œil perdu dans un océan virtuel.

Cela fait plusieurs minutes que j’arpente des rues désertes au réalisme troublant. La sensation d’être là-bas. Loin. Que dois-je faire ? Rien ne semble m’indiquer le chemin à suivre lorsqu’un nuage d’oiseaux me frôle à tire-d’aile. Ils se regroupent par milliers pour créer une nébuleuse de points noirs là-haut, là où le bleu était jusque-là immaculé. Cette masse sombre se déforme et se reforme en d’étranges figures quasi-géométriques pour s’éloigner ensuite vers le centre de la ville.

Ai-je d’autre choix que de la rejoindre ? Je peux courir mais après moins d’une minute le rythme se ralentit et mon souffle court se fait sentir. Sur ma gauche un vélo gît au milieu d’une pelouse. La roue tourne encore. De l’autre côté, à cheval sur un trottoir, un 4x4 a les portières ouvertes. Je me dirige vers la voiture. La clé est sur le contact prête à être enclenchée, à croire qu’elle n’attendait que moi. Je m’installe au volant, ferme les portières et passe du silence des grands espaces à celui des habitacles feutrés. Le pare-brise envahit ma vision sans que je puisse voir mes mains, les lignes de ma destinée.

Je peux circuler dans la ville vidée de ses habitants en gardant en ligne de mire ce nuage noir. Conduire librement un véhicule dans un jeu vidéo est souvent grisant et je pourrais inlassablement virer à droite ou à gauche sans me soucier d’un quelconque objectif à atteindre.

Mais je m’approche inéluctablement de cette tache sombre qui semble véroler l’azure. Elle grandit au-dessus d’un large bâtiment. Un hôpital.

Alors que je ralentis devant l’entrée principale, les portes s’ouvrent et plusieurs personnes s’avancent prudemment sur le seuil. Je sors du véhicule et un jeune homme à l’allure de quarterback m’arrête net. Il lève la main devant ses yeux pour se protéger du soleil et dit haut et fort :

« Ne t’avance pas plus. Comment tu t’appelles ? »

Une fenêtre apparaît à l’écran. Je tape mon [nom].

« Avance-toi que nous puissions mieux te voir », continue le quarterback.

A partir de cet instant, l’interface réapparait et je dois indiquer mon [sexe], ma couleur de [peau], celle de mes [yeux] et de mes [cheveux], d’autres détails de ma [complexion], ainsi que de mes [vêtements].

La vue passe à la troisième personne et je reconnais des personnages de la première saison.

Quelqu'un s’approche de moi pour me fouiller et fait un signe d’acquiescement au quarterback. Il s’avance vers moi et me tend la main. Je la lui serre.

« Entre. Ne restons pas ici. »

L’hôpital semble en état de siège. Des gens s’affairent dans le hall et les pièces adjacentes, portant des cartons, des fils et divers matériels.

« Je m’appelle Zachary. Je vais te faire faire le tour du propriétaire. »

Il me montre une pièce où plusieurs personnes regardent une carte sur une large table.

« C’est notre quartier général en quelque sorte. Là-bas, ce sont les cuisines où l’on emmagasine les vivres. »

Je demande ce qu’il se passe.

« Cela fait plusieurs mois que nous sommes ici. De temps en temps des gens comme toi nous rejoignent. Mais, c’est de plus en plus rare… »

Zachary m’emmène à l’étage devant une chambre gardée par des hommes armés.

« C’est bon. Vous pouvez nous laisser entrer. »

Je découvre un lit d’hôpital. Une personne frêle est sous respiration artificielle.

« C’est Warren qui l’a trouvée dans un entrepôt de la ville. Elle baignait dans son sang. Il l’a emmenée ici, mais l’hôpital était désert. Pas un médecin. Il a allumé le générateur de secours et a réussi à la mettre sous respiration artificielle. Il lui a sauvé la vie, mais nous ne savons pas si elle se réveillera un jour… »

Zachary semble perdu dans ses pensées, puis se retourne vers moi.

« D’où connais-tu Max ? »

J’attends qu’une boite de dialogue avec différents choix s’affiche. Je voudrais lui demander pour quelle raison ils la protègent, mais rien n'advient. Il continue :

« En fait je m’en fous. Cela ne me regarde pas vraiment. Viens avec moi, je vais te montrer ta chambre. »

Zachary m’emmène dans une petite pièce avec un lit d’hôpital et une commode pour seuls meubles.

« Fais comme chez toi. Je te laisse. Je dois rejoindre le quartier général. A plus tard. »

Je jette un œil par la fenêtre, me laisse bercer par Bill Evans et contemple la richesse des textures générées par le moteur graphique. Je me demande si les nuages dans le ciel se meuvent réellement ou si c'est mon imagination qui me souffle cette impression.

« Moving Through Time » d'Angelo Badalamenti 
J’explore la chambre, l’hôpital, ses corridors. Il y a du monde. Un monde clair. Peut-être un effet de la lumière inondant les murs blancs. La plupart des étudiants de Blackwell et des habitants d’Arcadia Bay sont ici et semblent avoir un rôle à jouer.

J’essaie de parler des circonstances qui les ont amenés en cet endroit, mais personne ne veut vraiment aborder le sujet. C’est alors que j’aperçois Warren au bout d’un couloir. Je lui adresse la parole. Il est pressé mais accepte de me parler.

« Tu crois au surnaturel ? me demande-t-il. Il va falloir te faire à l’idée que rien ici n’est rationnel. Viens avec moi. »

Il me fait entrer dans sa chambre. Sur l’un des murs sont accrochés des polaroids, ces centaines de photos de Max de dos.

« Il y avait du sang partout et ces photos… »

Il parle par bribes faisant de longues pauses.

« J’ai quitté Blackwell pour la retrouver. Il y a de ça plusieurs mois. Je ne me souviens plus exactement. J’étais sur la route. La lumière était vive. J’écoutais la radio lorsque… »

Sa voix se brise, mais il se reprend.

« Lorsque tout a commencé. C’est la radio qui s’est mise à en parler. Des voix paniquées. Des hommes, des femmes, des familles. Volatilisés. Puis le silence insupportable. J’ai cligné des yeux et j’ai failli avoir un accident. Des voitures arrêtées au milieu de la route. Comme si le monde s’était arrêté de tourner. C’est alors que je les ai vus… »

Il se tourne vers un ciel délavé.

« Les oiseaux. Une nuée de taches noires dans le ciel. Je les ai suivis. Qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ? Plus rien n’avait de sens. C’est comme ça que je l’ai retrouvée. C’est elle qui m’a guidé… »

Il me regarde fixement.

« Il faut que j’aille rejoindre les autres au quartier général. Pourrais-tu me rendre un service ? Lui parler. Il faut continuer à communiquer avec elle, pour qu’elle se souvienne, que l’on comprenne ce qui s’est passé, ce qui se passe ici. »

Il me laisse et je retourne dans la chambre de Max. Je m’assois de nouveau à côté d’elle et reste là à la regarder dans un de ces moments de contemplation qui ponctuaient la première saison de touches mélancoliques.

Je ne peux que l’observer : ses joues exsangues, ces effets intermittents de vapeur sur l’appareil respiratoire. Ses mains effilées, cette texture hyper réelle du drap blanc ; J’en distinguerais presque les aspérités. Les reflets saturés de la lumière, les particules haute définition de la poussière en suspension. La sensation d’y être, de l’autre côté du miroir.

Je me lève et continue mon exploration des lieux jusqu’au quartier général. J’y retrouve Warren, Zachary et d’autres visages familiers autour d’une large table en formica. Ils scrutent une carte de Los Angeles et de ses environs. J’y distingue de petites croix rouges inscrites au marqueur. A la marge de la carte il y a également une zone noircie qui attire mon attention, mais personne n’est vraiment disposé à me parler.

Inondé d'une lumière crue venant de la fenêtre principale, se trouve un large bureau encombré de livres et de journaux. Plusieurs d’entre eux se réfèrent à la théorie du chaos, à celle de la relativité, aux trous noirs et au voile de Maya. J’en feuillète quelques pages qui veulent sans doute donner un peu de crédibilité à ce monde illusoire.

Je trouve également un petit carnet noir de type Moleskine. Dès que je le touche, s’ouvre une interface où sera sans aucun doute sauver ma progression dans le jeu. Ma première mission à y figurer est de parler à Max.

Sur le mur opposé se trouve un immense tableau noir listant des groupes de noms et des ordres de mission : Récupérer de la nourriture, ramener des antibiotiques, trouver des véhicules, etc.

Zachary s’approche :

« Nous devons nous organiser pour survivre. Tout le monde doit s’y mettre. Libre à toi de choisir ta première mission. »

Je l’interroge au sujet de la zone noire.

« Commence déjà à faire tes preuves et on en reparlera. »

Il retourne vers les autres. Je décide de joindre un groupe qui a pour mission de récupérer des vivres dans un centre commercial. Je dois me rendre dans le parking souterrain.

Avant même de sortir de l’ascenseur, j’entends des coups de feu. Les portes s’ouvrent et je découvre que le parking a été reconverti en salle d’entrainement. Un homme me voit hésiter et m’interpelle:

« Toi ! Viens ici. »

Je m’avance.

« Approche-toi. Je m’appelle David. »

Il me donne un casque anti-bruit et une arme à feu.

« Tu sais t’en servir ? »

Je lui demande pourquoi c’est nécessaire.

« A l’extérieur, c’est la jungle. Je ne sais pas comment le monde a pu s’écrouler du jour au lendemain et je m’en fous un peu pour te dire la vérité. Ce qui compte c’est aujourd’hui. Et aujourd’hui, il faut se battre pour survivre. »

Je lui demande s’il y a d’autres camps comme le notre. Il ne répond pas tout de suite. Il hésite puis se met à parler doucement comme s’il ne voulait pas que d’autres entendent.

« Il n’y avait plus d’électricité, d’internet, de services qui fonctionnaient. Les trois quarts des habitants de la ville avaient disparu. Nous pensions être seuls au monde. Et puis on nous a tiré dessus. Ce fut le bordel sur le moment et puis on s’est organisé. Il n’y a de plus de lois qui vaillent sinon celle du plus fort. Montre-moi comment tu te sers de ce revolver. »

Je peux m’entrainer autant que nécessaire. Mon carnet signale les niveaux atteints et les armes maitrisées.

Une fois passé le niveau 3 avec mon revolver, David revient vers moi.

« C’est bien. Ça suffira pour l’instant. Rejoins ce groupe de ce côté. Il va bientôt partir. »

Je vais à la rencontre de cinq personnes. Le leader se tourne vers moi. Je m'annonce et salue tout le monde.

« Ok. On est au complet. Allons-y. »

« Odyssey » de Rival Consoles
Nous grimpons à l'arrière d'une ambulance. Le leader commence son briefing en haussant la voix alors que le véhicule démarre sur les chapeaux de roue.

« Je m’appelle Justin. Ce que je vais vous dire vous semblera peut-être ridicule, voire même dérisoire. Ecoutez-moi bien. Toute mission est à prendre au sérieux. Il en va de notre survie à tous. Bien-sûr, il est possible que tout se passe comme au bon vieux temps, lorsqu’on faisait ses courses pour la semaine. Il est aussi possible que ça tourne mal, surtout si vous prenez cette mission à la légère. »

Il fait une pause pour accentuer l’effet dramatique.

« Ok. Voici notre mission : Il faut récupérez des pâtes, du riz, des céréales et de l’eau. Nous irons par groupes de deux. L’un poussera le caddie et récupèrera les vivres. L’autre restera à côté l’arme au poing au cas où nous ne serions pas seuls. »

Justin s’adresse à la conductrice :

« Kate, tu laisseras le moteur en marche. »

Il se retourne vers nous :

« Des questions ? »

Il attend quelques instants et me montre du doigt.

« Toi, tu iras avec Dana. Si tu vois quelqu’un de suspect, tu n’hésites pas. Cherche pas à viser les jambes ou je ne sais quoi. On ne fait pas le malin. C’est eux ou nous. C’est bien compris ?».

Nous nous garons dans le parking d’un Wallmart. Des véhicules ont encore leur coffre ouvert. Des caddies errent un peu partout autour de nous comme des bateaux ivres. Je reste derrière Dana qui en récupère un vide à l’entrée.

Nous arpentons les allées à la recherche de la section ‘boissons’. Il fait sombre. Je fais attention à ne pas trébucher sur des sacs et des légumes pourris qui jonchent le sol. L’autre groupe s’occupe du reste. C’est alors que j’entends deux coups de feu et le silence. Dana se retourne vers moi. Elle est visiblement effrayée. Je fais volte-face. Un homme armé d’un fusil d’assaut me tient en jouc et s’apprête à tirer lorsqu’une ombre passe sur lui. Il fait soudainement froid. Je tremble. Je n’ose bouger. Justin apparaît de l’autre côté du rayon. En face de moi l’allée est vide. L’homme a disparu.

« Dépêchez-vous ! Il faut partir d’ici ! »

Nous rejoignons en courant l’ambulance où le compagnon de Justin se tient l’épaule en sang.

Tout va très vite. A l’hôpital, le blessé est emmené en urgence dans le bloc opératoire. Zachary me demande de venir dans le quartier général avec Justin et Dana.

Il s’adresse à Justin :

« Montre-moi sur la carte. »

Justin désigne un point au nord de l’hôpital.

Zachary prend un marqueur et trace une croix noire à l’endroit du centre commercial.

« C’est la première fois. Qui l’a vu ? »

Justin se tourne vers moi. Zachary me fixe en attendant que je dise quelque chose:

« Parle! »

Je mentionne l’homme au fusil.

« Dis-nous exactement ce que tu as vu. »

Je réponds que je n’ai pas vu grand chose à part cette ombre fugace. Je leur parle aussi de cette soudaine sensation de froid.

« Il faut qu’on comprenne ce que c’est. On vit en plein délire ! », s’énerve Zachary.

Warren s’avance.

« Calme-toi ! On finira par comprendre. Imagine que ce sont de mini trous noirs. Je sais que cela semble peu crédible, que c’est de la science fiction, mais il faut peut-être se faire à cette idée pour l'instant, pour ne pas perdre la tête.

- Chacun retourne dans ses quartiers jusqu’à nouvel ordre. », lâche Zachary désabusé.

Je retourne à la chambre de Max, là où l’intrigue devrait se poursuivre.

« A Thousand-Yard Stare » de Rafael Anton Irisarri
Sa chambre est baignée d’une lumière chaude. Je m’assois sur la chaise à côté d’elle et contemple à nouveau les lents mouvements de sa respiration. Une icône apparaît à l’écran sous la forme d’un microphone dessiné d’une main maladroite. L’aurais-je omise tout à l’heure ?

Dois-je parler dans le vide ? Que dire ? Il semblerait qu’il soit également possible de taper les mots sur le clavier, mais je me laisse prendre au jeu de la dictée.

Je commence par me racler la gorge. L’icône réagit. Je murmure un léger ‘Salut Max’ et le mot [Max] s’affiche brièvement à l’écran.

« Comment vas-tu ? »

Le mot [comment] apparaît brièvement.

« Que s’est-il passé ? »

Le mot [passé] s’affiche subrepticement.

« Je joue à 'Life is Strange' pour tuer le temps. »

Les mots [tuer] puis [temps] se succèdent en moins d’une seconde.

Que dire d’autre ?

« Je suis au chômage. Je ne cherche pas vraiment de boulot. »

[Cherche] apparaît brièvement.

« Chloé ? »

[Chloé] s’affiche à l’écran une demi-seconde.

J’ouvre mon carnet et les mots y figurent bien à certains endroits de certaines pages. C’est sûrement un puzzle qu’il faudra résoudre au cours des prochains épisodes.

Je continue à nommer différents personnages qui s’affichent les uns à la suite des autres. Cela devient un peu lassant lorsque me vient une idée.

« Qu’est-ce que la zone noire ? »

Mon écran s’éteint. Je reste interdit quelques instants, une sorte de moment ‘Psycho Mantis’.

[...]

J’agite la souris et l’écran s’éclaircit. Je suis toujours à côté de Max, mais je porte une blouse d’hôpital. Blanche.

Un médecin entre dans la chambre. J’entends des gens discuter dans le couloir. Il s’approche et pose sa main délicate sur mon épaule.

« Vas-y. Tu peux lui parler. Cela l’aidera à se réveiller un jour, comme toi. »

Il s’avance vers la fenêtre.

« Parler te ferait du bien aussi. Cela t’aiderait à recouvrer la mémoire. »

Mon carnet s’ouvre et je peux sélectionner les mots retenus dans la séquence précédente.

Je sélectionne [Max].

« Pourquoi penses-tu qu’elle s’appelle Max ? », me demande-t-il sans se retourner.

Je réponds que c’est son prénom : Maxine. Je l’entends prendre des notes sur un carnet.

Il laisse planer un silence pesant. Je remarque que les boites de dialogues commencent à trembler légèrement. Je décide de parler de [Chloé].

« Parle-moi plutôt de ce nuage d’oiseaux. », me demande-t-il tout en continuant à noircir son carnet de notes.

Les mots et les phrases dans les boites de dialogue ne cessent de changer et de trembler. Il m’est de plus en plus difficile de déplacer le curseur et je clique par erreur sur la réponse suivante :

« Allez-vous faire foutre, docteur ! »

Il ne répond pas et appuie sur quelque chose attaché à sa poitrine.

« Papillon bleu », murmure-t-il et c’est alors que je ne maitrise plus rien. Tout se met à vaciller et la porte de la chambre s’ouvre brusquement pour laisser jaillir une nuée de ces insectes aux ailes azurées. Un bleu électrique envahit l’écran et j’entends alors une succession ininterrompue de cris déchirants. Mes propres hurlements ? Pour me sortir de ce cauchemar, il m’est offert la possibilité de rembobiner la scène pour retourner au début du dialogue.

[...]

« Parler te ferait du bien aussi. Cela t’aiderait à recouvrer la mémoire. »

Je décide de parler de [Warren].

« Un brave garçon. Sans lui tu ne serais pas ici. »

Les boites de dialogues se remettent à vibrer. Je lui demande ce qu’il entend par là.

Il me regarde, prend un mouchoir de sa poche et me le met sous le nez. Les choix qui me sont offerts se floutent et se dédoublent. Par erreur je choisis de lui mordre la main. Mon sang se mêle au sien. Il se met à hurler, appuie rapidement sur l’appareil attaché à sa poitrine et susurre entre deux râles : « Papillon bleu ».

L’écran se fait dévorer par des centaines d'ailes bleutées aux élans électriques et mon hurlement se répète à l’infini. 

[…]

Je rembobine encore et encore le fil des événements pour sans cesse entendre mon cri se perdre dans cette explosion d’ailes saphir. 

[…]

La lumière faiblit et je n'ai toujours pas épuisé toutes les branches que m’offre ce dialogue exténuant. Chaque retour en arrière marque d’une tache écarlate mon retour à la réalité et noircit mon carnet de choix supplémentaires. Emporté[e] par un tourbillon de possibles, je finis par m’écrouler d’épuisement.

Ma tête heurte le sol dans un claquement sec.

« Big Big Love (Fig. 2) » de Foals
Comme si je quittais ma dépouille charnelle, la caméra recule dans un lent traveling arrière et me fait observer la scène de l’extérieur du bâtiment. Agenouillé à mes pieds, le médecin parle à l’appareil clippé à sa poitrine. Des infirmiers en blouse bleue entrent quelques secondes plus tard et emportent mon corps sur une civière.

Ma vue s’élargit encore. L’hôpital est éclairé d’une lumière surnaturelle alors qu’au loin des éclairs déchirent le ciel noir de L.A. et éblouissent brièvement de monstrueux nuages de pixels noirs. Je peux flotter dans l’air sulfureux et me tourner à droite, à gauche, pour admirer ce ballet d’oiseaux de mauvaise augure s’enrouler autour de certains immeubles de la ville comme des nuées de papillons de nuit autour de réverbères.

Je ferme les yeux sur cette vision hystérique et laisse Morphée me brancher à d'autres contrées irréelles.

A suivre.

Illustrations par ordre d'apparition:
1- De la série "Editorials" de Simon Prades
2- "La reproduction interdite" de René Magritte
3- Auteur non trouvé
4- De la série 'Corridors' de Catherine Yass
5- "La Mort" d'Odilon Redon
6- Détail de "Hopital Room" de 'Jamga'
7- "33 fillettes partant à la chasse au papillon blanc" de Marx Ernst




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