lundi 13 mars 2017

"Moonlight" de Barry Jenkins


Film oscarisé à rebours, Moonlight échappe au crédo hollywoodien habituel où le message au monde du cinéma se doit d’être limpide. Divisé en trois chapitres, Il nous conte l’histoire de Chiron, un jeune noir de la banlieue de Miami suivant ce qui semble être un parcours linéaire, de Little, l’enfant qu’il fut, à Black, l’adulte qu’il sera. Cependant le récit que certains jugeraient prévisible se termine sur un plan qui nous amène à nous refaire le film. Qui était vraiment Chiron ? Se définissait-il par son nom, sa couleur de peau ou sa sexualité ? Ou le bleu profond de l’océan ?

Son identité est mouvante et tangue d’un côté vers une sensibilité à fleur de peau et de l’autre vers une virilité de circonstance. Blanc ou noir, homo ou hétéro, dominant ou dominé, Moonlight se situe bien au delà de ces alternatives binaires. Il cultive la poésie de l’ambiguïté, cette fleur fragile qui ne peut s’épanouir dans un cœur de pierre et rester de marbre face à l'injustice et la haine.

Chiron mène sa barque en marge des conventions et s’attire rapidement des flots de quolibets et des déferlantes de violence. Il emporte alors Little dans un voyage funeste et s’échoue sur les rives arides d’une société où la survie dépend d’un corps et d’une âme sculptés à l’épreuve du feu. Il devient Black, dealer de drogues à la petite semaine et amateur d’un hip hop testosteroné, un roc à mille lieues d’une mère brisée par les relents du crack et les élans d’une concupiscence masculine destructrice.

Rien ni personne ne semble pouvoir percer cette roche volcanique où ne brule plus aucune passion ; jusqu’à ce qu’un un coup de fil réveille en Black cette flamme qui l’empêcha de sombrer enfant dans l’onde saphir, l’appel d’un ami intime et le souvenir d’une première fois, la seule fois où il se sentit en vie avant de se renier pour la gagner, la dernière fois où il fut trop faible pour la prendre à bras le corps et trop fier pour s’y jeter à corps perdu.

lundi 6 mars 2017

"My Scientology Movie" avec Louis Theroux vs "Elle" sans Paul Verhoeven


Que peuvent bien avoir en commun ces deux films à facture si étrangère ? L'athéisme? Une vision flegmatique et une autre cynique d’un monde sans Dieu ?

Lui - Louis Theroux - y croit peut-être encore à ce chemin de croix qui donnerait accès un monde sans illusion, sans Hollywood.

Elle, elle est nulle et encore moins que cela dit-elle, en dessous de la ceinture et bien au-delà d’un thriller érotique basic. Elle est sans foi ni loi.

Ne sont-ils pas tous deux déconnectés du réel ? Le documentaire de l'un est une œuvre de fiction sur une religion qui n'en est pas une et le film de l'autre n’est qu’un étrange document visuel sur l’état inquiétant d’une société accro à la fiction.

Dans ces deux cas cliniques, je vois des mondes en-deçà de la réalité où je finirais par me perdre, de multiples niveaux d’interprétations dont le sens n’aurait de cesse d’être insondable et le game over inaccessible.

J’y cherche l’Humain d’abord, mais faute de le trouver, je me dis souvent que ce serait mieux s’ils s’en allaient tous, tous ces faiseurs de rêves et de cauchemars. Perdrais-je la foi en le cinéma, cette machine à songes qui emporte mes sens parfois, mais me claque la porte au nez quand le réel se fait trop sentir ? Comme Elle, je questionne toutes ces images aussi proches de ma réalité soient-elles, mais ce ne sera (mal)heureusement pas la violence qui leur donnera substance.

Le héros de "My Scientology Movie" est un paria, une ancienne sainteté du dernier sanctuaire des déçus de toute autre transcendance, qui a explosé après que son maître ait lui-même pété une durite et quelques mâchoires. Il a quitté le navire sectaire et est revenu sur terre pour s’embarquer dans ce projet de reconstitution d’une douleur réelle avec le guru très british du documentaire. Rejouer et revivre par l’entremise de la fiction cette scène d’une violence décisive où, malgré son long entraînement à maîtriser toute émotion, il a tout lâché. Et tout cela ponctué des regards bienveillants et des pieux silences du divin Louis Theroux.

L’héroïne, Elle, est Isabelle Huppert, presque belle, presque désirable, une fleur fanée qui pique, se déchire et traite ses employés, ses amants, ses proches, son fils, tout son monde avec condescendance. Elle donne et encaisse les coups sans broncher, presque avec le sourire. Elle ne verse pas une larme pour son réalisateur, son maître, qui de film en film, s’enferme dans une carcasse où l’émotion ne transperce plus. L’amour, il n’y croit pas ou n’y croit plus, si ce n’est peut-être sans violence, sans rixes, sans vie, sans homme.

Supprimer l’émotion par tous les moyens de coercition possibles pour mieux la contrôler. Devenir insensible à cette souffrance ambiguë d’être à la fois mortel et infini. Serait-ce le thème commun de ces deux films? Quelle serait donc cette affliction dans la vie du Louis adolescent qui fit trembler l’aiguille du temps et cette émotion fébrile et souvent inattendue que les scientologistes ne sont pas les seuls à vouloir pulvériser à coups de poings, de dogmes et de gifles ? Quelle serait donc cette folie qui me donne la force d’avancer un pas après l’autre, à chaque jour sa peine, sa joie?

La possibilité d’une île lointaine peut-être où se languirait une tortue rouge.