mercredi 30 décembre 2015

"Star Wars : Le Réveil de la Force" de J.J. Abrams


La machine de guerre promotionnelle de Disney a propulsé le nouvel opus de cette saga intergalactique au top des films les plus lucratifs de l’histoire du cinéma hollywoodien. Est-ce la preuve que c’est un bon film ? En tous cas, c’est un film qui a su attirer anciens et nouveaux fans de Star Wars grâce à une campagne marketing efficace. J.J. Abrams a lui-même - depuis longtemps - préparé le terrain en disséminant des références nostalgiques à Star Wars dans la plupart de ses films et notamment dans le dernier Star Trek Into Darkness.

Le Réveil de la Force est un succès commercial indéniable, mais une fois la magie du générique dissipée, c’est un film décevant. Il entonne dès les premières images une longue marche funèbre pompeuse et pompière, enterrant une à une les dernières icones de la saga culte. A l’image du sabre laser qui a perdu son maître, ce film n’est qu’un piètre relais que se passent tristement les anciens et nouveaux protagonistes de cette aventure vieille de près de quarante ans dans l’attente d’un film à la hauteur des espérances. Le réveil de la force y est fébrile. Sa flamme vacille rapidement et n’éblouit jamais. Ce septième sceau n’est clairement pas une révélation. Il ne surprend ni n’émerveille. Il déroule sans génie sa litanie de clichés et de clins d’œil trop appuyés aux autres épisodes de la série. L’Episode VII ne renouvelle ni ne transcende ce que George Lucas sut créer avec trois bouts de ficelles techniques et un réel talent de tragédien.

La promotion de la promotion d’une promotion d’un film qui ne verra jamais le jour. Telle est la formule magique des franchises hollywoodiennes qui n’en finissent plus de promettre le grand soir. Tout cela a été depuis longtemps théorisé et mis en pratique par les studios et les producteurs de séries TV américains sous le terme de cliffhanger. Soyez patients, accrocs du petit et grand écran ! Le mystère de la création sera élucidé à l’épisode suivant. En attendant peu importe si l’histoire est médiocre, le fond creux, les dialogues pauvres tant que le tout est noyé dans un déluge savamment orchestré d’effets spéciaux – on en a pour son argent - et que l’aventure continue. Soyez patients, fans de Star Wars ! Le prochain sera le bon. Promis. To be continued.

Cette méthode de faussaire est au cœur de la mécanique bien huilée des blockbusters à tiroirs et sert de cache-misère à une industrie en mal de scenarii ambitieux et exigeants. Surprendre, émerveiller et faire réfléchir sont les risques que les studios américains - brassant des milliards de dollars en production, marketing et distribution – sont de moins en moins enclins à prendre. Promouvoir à défaut d’émouvoir, ils sont ainsi passés maître dans l’art d’assurer la vente et l’après vente de la promotion de films qui ne sont jamais que l’ombre du suivant.

Le Réveil de la Force ne fait pas exception et égrène lieux communs, personnages et archétypes des films de l’autre, le ‘Rohmer’ du cinéma de science-fiction, le mal-aimé des soi-disant fans de Star Wars, la cible facile des pseudo-critiques cinéphiles qui ne savent plus juger un film au-delà de sa forme. Car au point de vue formel, Le Réveil de la Force est de bonne facture, mais au delà des travellings étourdissants et des espiègleries d’un Han Solo grabataire, que reste-t-il des intrigues politiques, des dilemmes cornéliens et tragédies œdipiennes des films de Lucas ? Presque rien. J.J. Abrams est surement un fan de Star Wars, mais il n’a malheureusement pas compris grand-chose à sa mythologie.

Avant de rentrer dans le vif du sujet et juger sereinement le film d’Abrams, dissipons tout de suite un malentendu. Si George Lucas est un metteur en scène parfois médiocre, il n’est pas moins un des plus grands conteurs du cinéma hollywoodien. Beaucoup de fans et de critiques ont glosé sur La Menace Fantôme et L’Attaque des Clones. Ces films sont certes loin de la mise en scène spectaculaire de l’Episode VII, mais les histoires qui les sous-tendent sont bien plus riches et complexes, mêlant intrigues politiques et réflexions philosophiques passionnantes pour tout amateur de science-fiction.

Qu’en est-il de l’histoire du film d’Abrams ? Elle n’est qu’un méli-mélo de toutes les intrigues des précédents films de la série. La jeune héroïne de l’Episode VII est ainsi (presque) orpheline, mécanicienne experte, pilote hors-pair, tout comme Luke avant elle. Mêmes traits, même parcours initiatique, même ligne scénaristique. Est-ce que sa féminité serait sa seule originalité ? Inverser les motifs et codes des autres films n’ai nullement une preuve d’originalité, notamment lorsque le procédé devient systématique. L’Episode VII multiplie ainsi les inversions et variations sur les thèmes principaux des autres épisodes, développant un écheveau d’intrigues artificielles sans réel fondement. Des documents secrets dissimulés dans un droïde ; le massacre d’un village ; un bar peuplé de créatures bigarrées ; l’épreuve de la ‘cave du mal’ ; une bataille décisive sur une planète glaciaire ; un parricide inévitable ; une super étoile de la mort condamnée au même sort que ses grandes sœurs ; un Jedi exilé sur une planète introuvable. L’inventaire à la Prévert pourrait continuer jusqu’au fin fond de la galaxie.

Les scénaristes du Réveil de la Force ne se sont pas foulés en ne changeant que quelques lignes aux histoires déjà écrites par George Lucas et ont tout mixé grossièrement sans faire preuve d’aucune finesse d’écriture. Si ce dernier n’avait pas donné son blanc-seing, on n’aurait crié au mauvais plagiat. Mais chut ! Ne réveillez pas les accrocs de ces films à gros budget qui ne sont que la resucée d’autres films à gros budget. Il ne faudrait pas qu’ils se rendent compte qu’on leur sert toujours la même soupe d’effets spéciaux insipide. Ils pourraient finir par bouder les salles obscures et se mettre à y préférer la lecture lumineuse d’Isaac Asimov, Arthur C. Clarke, Frank Herbert et Dan Simmons.

N’y-a-t-il donc rien d’original dans l’Episode VII ? Il y a bien l’histoire de ce Stormtrooper qui a du mal à adhérer à la logorrhée imbitable des nazillons de pacotille du Premier Ordre. Il y a de quoi le comprendre quand leurs représentants ont si peu de charisme. L’un nous fait son Adolphe tonitruant et l’autre sa crise d’ado. L’Empire a clairement perdu de son panache. L’absence du personnage principal des six films précédents - Dark Vador – se fait cruellement sentir. Le pauvre a été réduit à une relique idolâtrée par un éphèbe aux penchants obscurs. L’Empire y est infantilisé et ridiculisé. C’est le pire affront que l’on peut faire à la saga Star Wars.

Le côté obscur se doit d’être une alternative crédible au pacifisme combatif des chevaliers Jedi, mais le politiquement correct et les bons sentiments l’ont définitivement dissous dans la mièvrerie. Le piètre successeur de Dark Vador fait tomber le masque assez rapidement et se révèle être sans consistance ni conviction. Il tue son père pour lui prouver qu’il n’est pas un ‘faible’. Le basculement d’Anakin de l'autre côté du miroir aux alouettes d'une république corrompue et d'un ordre Jedi à l'ascétisme fanatique avait bien plus de force et de sens.

Le triomphe commercial de l’Episode VII est compréhensible vu le niveau de l’attente d’un véritable réveil de la force, mais son succès critique est insensé ou - encore pire - manque de sincérité. J’attends sans grand espoir que l’Empire des véritables fans de Star Wars contre-attaquent pour rééquilibrer la Force et réveiller son côté obscur.