mardi 21 janvier 2014

"La Vie d’Adèle - Chapitres 1 et 2" d’Abdellatif Kechiche

C’est l’histoire d’une jeune fille qui cherche sa voix. Comment la libérer des alluvions charriées par le flow du phrasé populaire ? Comment l’emporter dans les brises légères du marivaudage ? Comment sortir des apparences et s’enfoncer dans les profondeurs du réel, remuer sa boue, surmonter ses miasmes, déloger la pépite de vérité qu’Abdellatif a vu briller dans les yeux d’Adèle ?

Une rencontre, un coup de foudre, un rêve. Celui qui permettra à Adèle de sortir d’elle-même, qui permettra à Abdellatif de poser un regard étranger sur son identité. 

Un choc. Visuel, sonore, culturel, social. C’est Emma, une étudiante aux Beaux Arts, aux cheveux bleus, au sourire carnassier prêt à dévorer son modèle. Y-aurait-il des arts moches se demande innocemment Adèle, elle qui est belle comme une rose qui aurait fleuri au sommet d’un tas de fumier ? Abdellatif voudrait tant l’arracher de ce milieu qui se goinfre de bolognaise, mais il n’ose pas vraiment. De quoi a-t-il peur ? De blesser cette jeune fille dans la fleur de l’âge ? D’égratigner cette image bien léchée ? De trahir l’origine de son nom ? De l’enlaidir ? Certes la morve se mélange aux larmes mais où est donc la sueur qui aurait dû faire basculer la midinette dans la moiteur du désir ambigu, du plaisir interdit, de la réalité du monde adulte, dure, incertaine, irréductible à toute idéologie ? 

Abdellatif reste étrangement étranger à cette scène cruciale de son film, de son discours, de sa réflexion sur les amours tourmentées entre des religions, des cultures, des langues différentes. Doivent-elles vraiment se mêlées au risque de s’aliéner, que l’une d’elle se perde dans l’autre ? Peuvent-elles être des égales, des reflets inversés ? Abdellatif ne veut pas rentrer dans le vif de son sujet, dans ce qui fait mal, dans ce qui rend tout véritable amour impossible. Aurait-il peur de cette fusion où le perdant n’est pas forcément celui qu’on croit ? Si la parité parfaite donne une belle image, ne fait-elle pas illusion? Abdellatif, pétrifié par cette question fondamentale à son cinéma, reste interdit face à ses deux héroïnes, entre deux eaux troubles, incapable de donner chair à un idéal qui lui est cher, celui d’élever la voix de la jeunesse au niveau de celle de ses pères.