Une scène de Blade Runner me revient à la
mémoire : Le personnage joué par Harrison Ford force, dans la pénombre de
son appartement, une jeune femme à sortir de sa frigidité robotique. En se
donnant à lui, elle risque sa vie. Dès les premiers signes d’abandon, un
mécanisme d’auto-destruction se met à l’œuvre au cœur de ses circuits. Elle est condamnée à s’éteindre au bout de quatre années. La mort est annoncée. Tel
est le prix à payer pour vivre comme les autres. Elle le sait. Elle a peur. Lui
ne pense qu’à son désir de la posséder. Il la saisit. Elle cherche à s’enfuir
de son emprise. Il claque la porte et lève les mains comme un prédateur
subjuguant sa proie avant de la dévorer. Il y a quelque chose d’étrange dans
cette scène : une brutalité et un manque cruel de sensualité. Ce qui n’est
pas connu du spectateur à ce moment précis du film, c’est que cette scène, où
l’humanité de ces deux personnages semble forcée, se déroule justement entre
deux robots. Quel est donc le sens de ce désir de fusion entre deux êtres qui
ne peuvent se reproduire ? Un défaut de fabrication ?
L’auto-destruction serait-elle au cœur de leur vie programmée, le suicide au
centre de la cinématographie de Ridley Scott? La vie y engendre la destruction
comme ces corps qui enfantent des Aliens.
Incontrôlable, incompréhensible, elle est un feu qui réduit en cendres toutes
les ambitions humaines, dont celles de ce réalisateur de s’élever au niveau de
son maître Stanley Kubrick. Il est difficile de ne pas comparer Promotheus et 2001 Odyssée de l’Espace : le survol de notre planète comme
une terre étrangère, la solitude de la station spatiale, le meurtre au cœur de la
condition humaine, la quête éperdue de ses origines. Le mal est pour
Scott cette vie qui nous échappe, cet
Alien, ce corps étranger, ce virus sexuellement transmissible dont le
personnage féminin principal de Prometheus
se débarrasse par un auto-avortement. Si pour Kubrick l’humanité s’exprime dans
ce geste radical du singe qui fracasse le crane de son semblable, lance son
arme au ciel et son regard vers l’infini, chez Scott elle est une erreur de la
création qu’il serait presque tenté de rayer d’une croix. Pour s’élever
au-dessus des hommes, il faut, malgré leurs erreurs, leur cruauté, leur vanité,
leurs errances, commencer par les aimer et toujours croire que son salut ne se
situe nulle part ailleurs que dans le prochain. Ainsi parlait Zarathoustra.