mardi 29 mars 2011

"La femme d’à côté" de François Truffaut

François Truffaut avait peur de la mort. Qui n’a pas peur d’elle ? Elle qui est si belle, si mystérieuse, si attirante, elle qui vit à côté de chez nous. Nous la croisons chaque jour, elle accompagne nos pas, notre respiration, elle trouble notre présent, hante notre passé, nous emmène irrémédiablement sur le chemin sinueux de la folie. La peur de la mort chez Truffaut est irraisonnée et se traduit souvent par une peur de conclure, si ce n’est par elle, comme pour mieux la conjurer. Et c’est bien la fin de ce film qui surprend par son incongruité. « Ni sans toi, ni avec toi » : Truffaut voudrait nous faire croire que le meurtre-suicide des amants est l’illustration parfaite de cette conclusion ambiguë. Or il ne fait pas ici le choix de l’ambigüité. Il fait celui du « sans moi ». Il semble tant apprécier la naissance de cette histoire, le réveil de cet amour, les regards langoureux, la vie, les enfants qui animent les travellings, le balancement gracieux entre les deux maisons, qu’il ne peut supporter qu’elle s’achève et expédie la fin dans un tragique exagéré et oiseux. Truffaut semble vouloir donner une réponse définitive à ses interrogations, mettre un point final à ses doutes, se débarrasser de la mort sans état d’âme. Il lui donne pourtant un rôle inespéré, incarnée magnifiquement par Fanny Ardant, elle qui, de sa voix sensuelle, aurait dû conclure ce film et emporter Gérard Depardieu dans la vie, cette folie.

'Au-delà du réel' de Ken Russell


La mémoire des premiers hommes est inscrite dans nos gênes et peut-être même celle des premiers temps. Le rêve de tout scientifique mégalomane est de remonter ce courant qui coule dans nos veines jusqu’à la naissance du monde, de percer le secret de nos origines. C’est le projet pas si fou de l’homme de science incarné par William Hurt, au regard perçant, à la sensibilité vive ; son talent crève déjà l’écran dans ce premier rôle déterminant pour sa carrière d’acteur de second plan. L’amour de la vérité perdra ce scientifique tourmenté par la mort prématurée de son père ; l’amour d’une femme le ramènera à la vie et lui fera réaliser que si l’homme nait dans un cri de souffrance, sa conscience meurt dans un cri de jouissance. Cet instant impénétrable, ce climax, il veut l’explorer, l’observer, le théoriser et le revivre pour l’éternité. Il veut se voir sur son lit de mort, détacher l’âme de son corps, saisir cet instant qui échappe à tout homme. Etre et ne pas être, telle la question à laquelle il voudrait répondre sans détour et c’est l’amour qui lui donnera une réponse consternante, ambiguë : la conscience de l’homme ne se révèle que dans son désir de se perdre et la science continue à chercher vainement, mais consciemment, une vérité qu’elle n’oserait trouver. Percer le secret de la vie signerait sont arrêt de mort. Elles cultivent ainsi son mystère en s’efforçant de le démystifier. Nous voudrions bien comme lui tenir le plaisir jusqu’au bout, ne pas laisser la fin venir, mais enfin elle nous emporte dans une explosion effrayante de couleurs et nous rappelle que pour jouir de la vie, nous ne pouvons oublier son lot de souffrances.

"La Grotte des rêves perdus" de Werner Herzog


J’ai dû lutter pour ne pas m’endormir devant cette exploration en trois dimensions de la grotte de Chauvet. Nous pourrions à juste titre nous demander si cela ne faisait pas partie du dessein de Werner Herzog de nous plonger dans les rêves des premiers hommes, dans un état de somnolence, pour admirer la beauté hypnotique, radicale,  si actuelle de peintures vieilles de près de trente mille ans. Si un temps abyssal nous sépare de l’ « homo spiritualis », Werner Herzog nous rappelle combien son esprit est toujours là, vivant, vibrant sous la lumière crue et froide de notre civilisation dite moderne. Que nous apprend-il, cet homme d’un autre temps ? Justement rien. Le mystère de son imaginaire reste entier, à la fois fascinant et insaisissable. Pourtant un insert dans le documentaire, un indice presque anodin, mais puissant dans sa force d’évocation, son contraste, son noir et blanc, colore magnifiquement le propos, la vision, de Werner Herzog : Fred Astaire dansant avec son ombre. A cet instant la grotte devient une lanterne magique, le théâtre des rêves des premiers hommes que j’imagine danser au milieu des chevaux, des rhinocéros et des lions. Si en ce temps primordial l’homme était un des animaux les plus faibles, il trouva peut-être dans cette grotte, son imaginaire, un moyen de satisfaire ses rêves de puissance, son désir irrésistible de trôner au sommet de l’évolution, de devenir un lion. L’histoire de l’homme, du premier au dernier, pourrait être ainsi celle d’une revanche sur la vie, une vie qu’il faut sans cesse surmonter, contrôler, dominer tout en la laissant s’exprimer, grandir, dominer la main qui peint et arracher une larme à l’œil qui admire. Nous imaginons aisément le premier homme s’arrêter un instant de vivre, après avoir justement laissé la vie dessiner ses rêves de gloire, pour enfin apprécier sa propre représentation danser sur les murs de la grotte de Chauvet.  Nous imaginons aussi bien l’homme moderne assis confortablement dans une salle de cinéma, s’arrêtant un temps de vivre pour voir sa propre vie s’animer sur l’écran et se rassurer d’être bien vivant.

dimanche 20 mars 2011

"Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu" de Woody Allen


Ce film semble au premier abord insensé, sans bruit et sans fureur. Comment croire que la seule personne à trouver le bonheur dans cette histoire rocambolesque est celle qui se laisse pleinement bercer d’illusions ? Est-ce si difficile à croire ? Qui ne voudrait pas refaire sa vie une dernière fois avant qu’elle ne s’achève dans le silence de la solitude ? Qui ne voudrait pas jouir du succès critique du roman de sa vie avant qu’il ne devienne posthume ? Qui ne voudrait pas avoir l’œil pour dénicher la beauté avant que son narcissisme ne se fane ? Qui ne voudrait pas être le cœur léger, sans regrets, tout à fait prêt avant de rencontrer ce bel et sombre inconnu ? Mais qui est-il vraiment ? Est-il celui qui fauche tous les espoirs ou celui qui attend éternellement que ses créatures méritent leur place à ses côtés ? Woody Allen ne peut croire en Dieu, n’y imaginer le monde sans lui. Il s’enferme, ainsi que ses personnages, dans le bocal de sa pensée et tout ce petit monde s’y débat vainement, tourne en rond. Il éprouve désespérément les limites de son scepticisme et renvoie au prochain film l’espoir d’enfin percevoir le sens qui a manqué à ce dernier. En tout cas sa foi en le cinéma est inébranlable et minuit sonne déjà à Paris.

mercredi 16 mars 2011

"Avatar" de James Cameron



James Cameron filme l’invisible dans l’obscurité d’un hangar vide. C’est ce que vous pouvez voir dans le ‘making of’ de ce film monstre, la vie palpiter au cœur du virtuel. Il nous invite à passer de l’autre côté, à avoir la foi en le fantastique, à nous perdre dans son imaginaire bleuté. Il nous invite à regarder, à ouvrir les yeux sur le monde, à nous émerveiller comme au premier jour. Sous nos yeux, l’irréel s’anime, bondit, s’envole, s’incarne en elle ; dans ses yeux, le réel s’oublie, s’enfuit, s’étiole et la mort plane sur cet amour virtuel ; et cet amour se fane, s’endort sans elle.

"Maris et femmes" de Woody Allen



Les couples se séparent, puis se retrouvent et enfin acceptent l’insatisfaction inhérente à une vie vidée de toute passion. L’auteur, acteur-réalisateur, poursuit sa quête de sens, de l’essence du cinéma, s’amourache d’une adolescence qui le sait déjà perdu et réécrit, en son absence, une vie qu’il n’a pas vécue.

"Chinatown" de Roman Polanski



Que s’est-il passé à Chinatown ? Le film nous met dans l’attente d’un événement tragique à venir. Cet événement a déjà eu lieu. Il brille d’une lumière noire dans l’iris de Faye Dunaway. C’est un amour, un film, qui s’auto-dévore et au milieu duquel brille le regard noir de Nicholson, Polanski, un regard sans passion, froidement posé sur un monde en train de sombrer. Il veut percer le secret de cette vie qui ne l’anime plus et hante le cinéma comme un fantôme, une âme perdue, le vampirise jusqu’à la dernière goutte de sang, la dernière larme, la dernière âme, celle d’un enfant.

dimanche 6 mars 2011

"La Randonnée" de Nicolas Roeg



‘Rien ne va plus’ dit une voix au début du film. Sydney est bruyante, agitée, moderne. Une femme prépare un déjeuner, des fruits, à emporter pour son mari et ses enfants. Le père regarde son fils et sa fille batifoler dans la piscine de la résidence. Tout semble normal et pourtant rien ne va plus pour ce père et ses enfants dont un pique-nique surréaliste en plein désert australien prend un tour tragique. Le père tente vainement de mettre fin à leurs jours avant de mettre effectivement fin aux siens. Le geste est inexpliqué. On imagine une frustration, un désir insatisfait qui, avant le drame, semblait glisser irrémédiablement sur les cuisses nues de l’adolescente. Le suicide du père, comme un coup de tonnerre en plein jour, lance le film, le parcours initiatique de la jeune fille et de son jeune frère dans un milieu hostile qui leur est étrangement clément. Du bruit à la lumière, ils quittent la civilisation et s’en vont vers le soleil couchant. Sur leur chemin, ils rencontrent un aborigène qui leur redonne la joie de vivre, de chasser pour manger à leur faim, de continuer leur route. Il éveille aussi chez l’adolescente des désirs d’une toute autre nature, désirs dans lesquels elle pourrait laisser sombrer sa conscience en toute innocence, mais qu’elle préfère laisser glisser irrémédiablement dans le souvenir, celui d’une enfance perdue. Ne pouvant conquérir le cœur de la jeune fille, ce monde étranger qu’il voit briller dans ses yeux bleus, cette vie effrénée qui semble avoir oublié ses racines, le jeune aborigène, homme enfant, s’évanouit dans la nature après avoir permis à cette aventure de survivre et de s’achever à Sydney, là où elle avait commencé. L’adolescente est devenue femme maintenant, a pris la place de sa mère préparant le déjeuner, de la viande, et se souvient de son innocence perdue. D’une frustration est né un désir d’en finir, une rage de vivre ; de ses yeux bleus est né le cinéma. Du bruit à la lumière, sur ces mots ce termine le film : ‘Rien ne va plus’; et la roue, la pellicule, tourne sans fin.