samedi 19 novembre 2011

"Il était une fois en Anatolie" de Nuri Bilge Ceylan


A peine visible dans la pénombre, elle est bien là pourtant, elle vibre. Son ombre plane et parfois quelques éclairs trahissent sa présence. Le monde somnole, s’endort, s’enfonce dans la nuit et c’est alors qu’elle surgit, s’avance avec grâce, tenant la lumière des hommes dans ses doigts délicats. Belle et diaphane comme un fantasme, elle persiste à peine sur les rétines, abandonnant les spectateurs à leur émerveillement, ne leur laissant pas le temps de la saisir, de sonder son mystère. L’enfance s’est envolée comme une feuille d’automne emportée par le vent de l’ignorance, préservée de nos mains avides de la réduire en poussière.

"Restless" de Gus Van Sant


L’adolescence est ce temps où tous les débordements, tous les écarts de conduite, tous les clichés sont encore permis ; ce temps où la mort reste ce mystère aussi ridicule et attendrissant qu’un masque d’Halloween posé maladroitement sur le visage d’un enfant. L’adolescent voudrait le lui arracher mais le chérubin refuse, se dérobe, le nargue de ses grands trous noirs et de son sourire macabre. Le gamin recule alors doucement, lâche ses bonbons et s’enfuit au fond de la nuit dans un rire narquois. Le jeune homme ramasse les couleurs qui se sont éparpillées sur le macadam, son souvenir. Il pleure car il n’a pas vu son visage, il n’a pas su le reconnaitre, donner un nom à cette période écartelée entre l’innocence et l’insensible. Les amours y sont éphémères, désespérées, intenses, dérisoires. Il ne voudrait pas les quitter, mais il doit bien s’y résigner. Elle, la mort, l’enfance, l’a abandonné. Il n’a pas de mot pour lui dire adieu car il sent bien qu’elle est toujours là ; elle vit, en lui, dans ces écrits.

lundi 10 octobre 2011

"Drive" de Nicolas Winding Refn



Faussement naïf comme une chanson pop des années 80, le film s’insinue avec grâce sur les routes dangereusement glissantes du mélo. Puis, soudain, elle surgit, elle, la violence. Elle surprend, déstabilise, nous gênerait presque. Heureusement Ryan Gosling crève l’écran de ses silences et porte sur ses traits enfantins la dureté angélique de James Dean, celui qui voulait vivre à tout prix, à cent à l’heure, au péril de sa vie. Même dans sa démesure, le film reste à la mesure de cet acteur hors norme et nous rappelle que le cinéma, dans ses frustrations, ses coups de sang, ses actes manqués, ses difficultés à conclure, est avant tout l’expression d’un désir insatisfait.     

"Melancholia" de Lars Von Trier



Tout débute par un rêve, une pluie de passereaux, la chute d’un étalon, des scènes au ralenti, deux femmes et un enfant, plan où l’équilibre est parfait, mais où l’homme est absent. Il regarde. Il essaie de donner un sens à une pensée folle. Il est cette planète lancée à grande vitesse dans le vide sidéral, mais le choc avec l’humanité ne sera pas fatal. Il n’aura même pas lieu. Lars Von Trier n’y croit pas vraiment et se force à plonger son film dans le néant. Cette pensée folle, au fond, il ne l’accepte pas car il ne la comprend pas. Et c’est sans nul doute de ce désir de donner sens à cette vision brute, vague souvenir d’un songe incompréhensible, qu’est né ce film. Froid comme l’art abstrait, détaché comme la mariée, sec comme sa sœur, naïf comme le mari déçu, dogmatique comme le beau-frère, cynique comme le patron vénal, Lars Von Trier est ce qu’il dénonce. Incapable de voir au-delà de la surface sensible, il creuse comme un acharné le cœur des hommes qu’il ne sait pénétrer de sa raison. En diabolisant le monde et en dénigrant l’humanité, Lars Von Trier fait preuve de peu de foi en la magie du cinéma et la fée qui l’anime, la vie. Si comme Justine, la future ex-mariée, il pense être convaincu de notre solitude éternelle et de notre fin inéluctable, pourquoi ne se mure-t-il pas dans le silence ? Parce qu’il veut continuer, à vivre, à filmer les seins plantureux de Kirsten Dunst, le visage déchiré de Charlotte Gainsbourg, la vanité de Kiefer Sutherland, les facéties de John Hurt, l’amertume de Charlotte Rampling. Parce qu’il veut rendre compte de ses rêves, de l’invisible, comme ses maitres, Bergman, Tarkovsky, Fellini. Cela ne sert à rien de déconstruire le monde et de chercher le néant dans le noir de sa pensée. Le cinéma est fait de lumière et Dieu sait qu’elle est belle dans Melancholia ! Que Lars Von Trier brise le carcan de son intellect, de ses dogmes, et qu’il laisse enfin la vie s’épanouir pleinement sur l’écran, celle qu’il chérit tant, tout comme ses actrices, toutes les femmes de sa vie et celle qu’il, entre toutes, aime à la folie : l’humanité.



"Arrietty" de Hiromasa Yonebayashi



Les yeux tournés vers le ciel, elle se sent si minuscule, presque invisible, face à son désir, ce géant, ce soleil qui ne pourra malheureusement jamais pénétrer son secret. A jamais exclue du monde des hommes, la muse est cependant heureuse d’avoir su braver sa peur et supporter le regard de l’impossible.


"La piel que habito" de Pedro Almodóvar



Isolée au sein d’un corps étranger, la conscience fait son monologue intérieur dans un silence de cathédrale, vit sa vie sans pouvoir sonder son propre cœur et observe son semblable comme une bête fauve, le reflet d’un reflet dans un miroir déformant. Des yeux sans visage. Dans le corps de l’un, dans le corps de l’autre, la solitude cherche vainement une fin à son histoire. 

dimanche 28 août 2011

"Super 8" de J.J. Abrams


Une scène sur le quai d’une gare est le banc d’essai d’un film amateur qui prend à cœur d’embrasser la réalité de la fiction. Une jeune actrice y passe une audition pour devenir une fleur, aussi rare que fragile, au milieu d’un désert cinématographique. Hollywood s’émerveille puis s’égare dans la parodie d’un miracle. Après avoir brièvement senti le parfum capiteux des années 80, il s’éloigne des mystères de ces films monstres qui arrachèrent ses premières larmes au cinéma de masse. Super 8 est de notre temps. Il perd en chemin l’émotion qui l’a tant inspiré à croire que le charme de l’enfance n’a jamais de seconde chance.  

"Le Dernier Maître de l’Air" de M. Night Shyamalan


D’Eric Rohmer à Krzysztof Kieslowski, d’Ingmar Bergman à Andrei Tarkovsky, de Martin Scorcese à Terrence Malick, personne ne contestera à ces réalisateurs leur esprit tout à la fois critique et ouvert à la spiritualité. M. Night Shyamalan fait partie de ces cinéastes qui, malgré une certaine maladresse rhomérienne parfois, n’a jamais cessé d’explorer, contre les vents et marées de la critique, le rapport complexe de l’homme et de la foi, même dans ses films les plus commerciaux. Entre soi-disant pudibonderie et philosophie de comptoir, il nous souffle à l’oreille cette terrible vérité: il n’y a pas de salut pour l’individu qui se dirige égoïstement vers sa propre fin. Il n’y a que son prochain, son amour, son mystère, ce qui dépasse l’imagination pour que nos espoirs, nos illusions, la fiction, prennent chair. Il veut nous faire croire à l’incroyable, nous faire ressentir, comprendre, comme cette immense vague d’émotions soulevée par le dernier Maître de l’Air, que la vie est un acte de foi en l’autre, que le destin de l’homme ne peut dépendre d’un être providentiel, bien qu’il n’en pense pas moins. La vérité nait ainsi d’un conflit intérieur, d’une remise en cause et d’un renforcement de sa propre foi, du choc d’une image et d’une myriade de regards, entre ces lignes, dans nos pleurs, entre ces mots que j’écris et ceux que vous lisez, entre l’un et l’invisible.

"Poetry" de Lee Chang-Dong

La mort d’un être,
La mort d’un fils.
La vie, un édifice,
Détruit, ne fait que renaitre.

Je voudrais être celle qui,
A force d’être,
Survit à l’oubli,
Au hasard.

Je voudrais renaitre
Des cendres de mes écrits.

Je voudrais épouser ce regard
Qui dans la nuit me poursuit.

dimanche 31 juillet 2011

"Harry Potter et les reliques de la mort - partie 2" de David Yates


Harry est arrivé au bout de son histoire, de son adolescence. Il a réussi à accepter la mort, il en a fini avec la magie, le fantastique, ses rêves de puissance. Il a accepté de rester sur le quai et laisser partir le train de la vie, sans lui. Si les fans pleurent c’est parce qu’ils nourrissent comme Harry le désir de devenir le maitre de leur destin avant que celui-ci ait le mot de la fin. Si les éternels adolescents pleurent c’est parce que le véritable héros de cette histoire, Voldemort, a capitulé, celui qui laissa sa marque sur le front d’Harry, celui qui en fit un être exceptionnel, torturé, ambigu, son père spirituel, son guide, celui qui voulait vivre au-delà de la mort. Il a été vaincu, mais vive celui sans qui aucune histoire vaudrait d’être vécue, sans qui la vie n’aurait pas de sens, sans qui Harry serait à jamais resté, tout comme son meilleur ennemi, dans l’enfance !

"Le Bûcher des vanités" de Brian de Palma


C’est l’histoire d’un homme à qui tout réussit. C’est un magnat de la finance, un homme fortuné, en amour et en argent, un homme au dessus du lot, des lois, de tout soupçon jusqu’au jour où, pour une histoire de cul, un accident de parcours, une aventure qui tourne mal à l’autre extrémité du spectre social, sa vie bascule dans le scandale, l’avanie, une affaire qui ravive les clivages de classes, de races, des sexes, qu’ils soient le fruit du réel ou de l’imagination. Il fait la fortune des médias qui, d’un jour à l’autre, passent du crime raciste à l’erreur judiciaire, pour faire du papier, de l’audience, du bruit, peu importent les faits, peu importe la vérité. C’est pourtant elle qui excite la curiosité, l’impatience d’en savoir davantage, le voyeurisme, le lecteur, le journalisme, la justice, tout ce petit monde qui voudrait la connaitre, mais qui sait bien qu’il ne pourra percer le secret de ce qui ne relève probablement plus des faits. Alors on s’empresse de lire la presse et se goinfre de ses conjectures, se remplit de cet espoir illusoire de déjouer un jour le mystère d’une affaire qui ne sera jamais résolue. C’est dans les interlignes, les sous-entendus, les contradictions de tout ce marasme, au cœur de la fiction, du mensonge, de l’histoire, de la justice, que chacun trouve, entre fantasmes et réalité, sa part de vérité. 

jeudi 14 juillet 2011

"The Tree of Life" de Terrence Malick

La vie est un geste ample qui embrasse l’histoire des hommes. L’homme voudrait la saisir, la comprendre, mais comme l’eau, elle lui coule entre les doigts. Tant de plaisirs elle procure jusqu’au jour où elle emporte vos espoirs, vos illusions, un enfant. Chaque inspiration est un poison, chaque expiration, le souffle d’un volcan, chaque pas celui du renoncement. L’homme prend alors ses distances, observe, les yeux remplis de larmes, la vie suivre son cours, sans lui, lui qui filme les acteurs de sa vie, lui qui regarde un écran en attendant de vivre ; lui qui attend que la mort le surprenne, il donne sa peine à vivre au cinéma.

dimanche 3 juillet 2011

"Le Mépris" de Jean-Luc Godard


La plus belle scène du film est un voyage en barque vers l’infini. L’émotion envahit le visage ordinairement arrogant de Michel Piccoli. Amour transi, amour violent, son regard brille de ce feu que sut si bien capter Claude Sautet. Il caresse une dernière fois la douce image de Brigitte Bardot qui semble, dans ce plan hors du temps, avoir échoué par accident sur les rives d’un film de Joseph Losey. L’œil pénètre doucement dans le subconscient d’Alberto Moravia, une grotte aux mille facettes vermeilles. Piccoli pose le pied sur le rivage vierge de ce film jusqu’ici solaire et s’émerveille de cette explosion de couleurs sanguines, espérant, dans la solitude de cette caverne isolée, faire renaître une passion oubliée. Il se retourne vers l’onde obscure, tendant les mains vers celle qui constitue l’intrigue, l’histoire, le cinéma, mais ne fait face qu’à un écran noir d’où ne jaillit aucune lumière. Nous attendons désespérément avec lui que se réveille de ce cœur de pierre la braise qui enflamma le cinéma d’Elia Kazan, mais le silence règne sur cette scène qui ne fut qu’un rêve. 

mercredi 18 mai 2011

"La Pecora Nera" d’Ascanio Celestini


La folie dérange, agace, met mal à l’aise, mais parfois fait surgir, comme un éclair en plein jour, un trait de génie.

"Tomboy" de Céline Sciamma


Si l’enfance est l’univers de tous les possibles, le monde adulte est celui du choix. On choisit un nom, une identité, un avenir et un passé que l’on conte à loisir. Dans le terreau de ses souvenirs, on y cultive les moments de joie, les espoirs déchus, le regret d’avoir un jour du choisir. Michael est une possibilité, Laure est le choix. Il ne semble jamais trop tard pour rouvrir le champ des possibles, d’y faire refleurir le désir de recommencer sans cesse, mais arrive le jour où la terre s’assèche, où plus rien n’est possible, où l’on regrette d’avoir fait le choix de laisser grandir cet enfant qui au fil du temps n’a pas su lui résister.

jeudi 14 avril 2011

"Monsters" de Gareth Edwards



« Love is a restricted area ». En français, étrangement, on serait tenté de traduire cette phrase par : « L’amour est un domaine réservé ». La signification est toute autre, mais pas si éloignée. L’amour est un monstre qui ne peut être contenu, qui échappe à toutes les interdictions, toutes les violences, toutes les misères, fait trembler l’humanité jusque dans ses racines les plus profondes. Il fait tomber les murs qui séparent les égoïsmes, franchir les frontières idéologiques, déjouer les promesses du mariage. Sa puissance est dévastatrice, effraie, mais émerveille tout à la fois par son étrangeté, sa grâce, son ambigüité, sa capacité à se renouveler sans cesse malgré le désespoir et son lot de détresses. Les hommes veulent l’encercler, le contrôler, saisir son image, percer son secret, mais il fuit, trace sa route, évite les écueils de la raison pour s’achever tendrement dans l’intimité d’un simple baiser.

mardi 29 mars 2011

"La femme d’à côté" de François Truffaut

François Truffaut avait peur de la mort. Qui n’a pas peur d’elle ? Elle qui est si belle, si mystérieuse, si attirante, elle qui vit à côté de chez nous. Nous la croisons chaque jour, elle accompagne nos pas, notre respiration, elle trouble notre présent, hante notre passé, nous emmène irrémédiablement sur le chemin sinueux de la folie. La peur de la mort chez Truffaut est irraisonnée et se traduit souvent par une peur de conclure, si ce n’est par elle, comme pour mieux la conjurer. Et c’est bien la fin de ce film qui surprend par son incongruité. « Ni sans toi, ni avec toi » : Truffaut voudrait nous faire croire que le meurtre-suicide des amants est l’illustration parfaite de cette conclusion ambiguë. Or il ne fait pas ici le choix de l’ambigüité. Il fait celui du « sans moi ». Il semble tant apprécier la naissance de cette histoire, le réveil de cet amour, les regards langoureux, la vie, les enfants qui animent les travellings, le balancement gracieux entre les deux maisons, qu’il ne peut supporter qu’elle s’achève et expédie la fin dans un tragique exagéré et oiseux. Truffaut semble vouloir donner une réponse définitive à ses interrogations, mettre un point final à ses doutes, se débarrasser de la mort sans état d’âme. Il lui donne pourtant un rôle inespéré, incarnée magnifiquement par Fanny Ardant, elle qui, de sa voix sensuelle, aurait dû conclure ce film et emporter Gérard Depardieu dans la vie, cette folie.

'Au-delà du réel' de Ken Russell


La mémoire des premiers hommes est inscrite dans nos gênes et peut-être même celle des premiers temps. Le rêve de tout scientifique mégalomane est de remonter ce courant qui coule dans nos veines jusqu’à la naissance du monde, de percer le secret de nos origines. C’est le projet pas si fou de l’homme de science incarné par William Hurt, au regard perçant, à la sensibilité vive ; son talent crève déjà l’écran dans ce premier rôle déterminant pour sa carrière d’acteur de second plan. L’amour de la vérité perdra ce scientifique tourmenté par la mort prématurée de son père ; l’amour d’une femme le ramènera à la vie et lui fera réaliser que si l’homme nait dans un cri de souffrance, sa conscience meurt dans un cri de jouissance. Cet instant impénétrable, ce climax, il veut l’explorer, l’observer, le théoriser et le revivre pour l’éternité. Il veut se voir sur son lit de mort, détacher l’âme de son corps, saisir cet instant qui échappe à tout homme. Etre et ne pas être, telle la question à laquelle il voudrait répondre sans détour et c’est l’amour qui lui donnera une réponse consternante, ambiguë : la conscience de l’homme ne se révèle que dans son désir de se perdre et la science continue à chercher vainement, mais consciemment, une vérité qu’elle n’oserait trouver. Percer le secret de la vie signerait sont arrêt de mort. Elles cultivent ainsi son mystère en s’efforçant de le démystifier. Nous voudrions bien comme lui tenir le plaisir jusqu’au bout, ne pas laisser la fin venir, mais enfin elle nous emporte dans une explosion effrayante de couleurs et nous rappelle que pour jouir de la vie, nous ne pouvons oublier son lot de souffrances.

"La Grotte des rêves perdus" de Werner Herzog


J’ai dû lutter pour ne pas m’endormir devant cette exploration en trois dimensions de la grotte de Chauvet. Nous pourrions à juste titre nous demander si cela ne faisait pas partie du dessein de Werner Herzog de nous plonger dans les rêves des premiers hommes, dans un état de somnolence, pour admirer la beauté hypnotique, radicale,  si actuelle de peintures vieilles de près de trente mille ans. Si un temps abyssal nous sépare de l’ « homo spiritualis », Werner Herzog nous rappelle combien son esprit est toujours là, vivant, vibrant sous la lumière crue et froide de notre civilisation dite moderne. Que nous apprend-il, cet homme d’un autre temps ? Justement rien. Le mystère de son imaginaire reste entier, à la fois fascinant et insaisissable. Pourtant un insert dans le documentaire, un indice presque anodin, mais puissant dans sa force d’évocation, son contraste, son noir et blanc, colore magnifiquement le propos, la vision, de Werner Herzog : Fred Astaire dansant avec son ombre. A cet instant la grotte devient une lanterne magique, le théâtre des rêves des premiers hommes que j’imagine danser au milieu des chevaux, des rhinocéros et des lions. Si en ce temps primordial l’homme était un des animaux les plus faibles, il trouva peut-être dans cette grotte, son imaginaire, un moyen de satisfaire ses rêves de puissance, son désir irrésistible de trôner au sommet de l’évolution, de devenir un lion. L’histoire de l’homme, du premier au dernier, pourrait être ainsi celle d’une revanche sur la vie, une vie qu’il faut sans cesse surmonter, contrôler, dominer tout en la laissant s’exprimer, grandir, dominer la main qui peint et arracher une larme à l’œil qui admire. Nous imaginons aisément le premier homme s’arrêter un instant de vivre, après avoir justement laissé la vie dessiner ses rêves de gloire, pour enfin apprécier sa propre représentation danser sur les murs de la grotte de Chauvet.  Nous imaginons aussi bien l’homme moderne assis confortablement dans une salle de cinéma, s’arrêtant un temps de vivre pour voir sa propre vie s’animer sur l’écran et se rassurer d’être bien vivant.

dimanche 20 mars 2011

"Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu" de Woody Allen


Ce film semble au premier abord insensé, sans bruit et sans fureur. Comment croire que la seule personne à trouver le bonheur dans cette histoire rocambolesque est celle qui se laisse pleinement bercer d’illusions ? Est-ce si difficile à croire ? Qui ne voudrait pas refaire sa vie une dernière fois avant qu’elle ne s’achève dans le silence de la solitude ? Qui ne voudrait pas jouir du succès critique du roman de sa vie avant qu’il ne devienne posthume ? Qui ne voudrait pas avoir l’œil pour dénicher la beauté avant que son narcissisme ne se fane ? Qui ne voudrait pas être le cœur léger, sans regrets, tout à fait prêt avant de rencontrer ce bel et sombre inconnu ? Mais qui est-il vraiment ? Est-il celui qui fauche tous les espoirs ou celui qui attend éternellement que ses créatures méritent leur place à ses côtés ? Woody Allen ne peut croire en Dieu, n’y imaginer le monde sans lui. Il s’enferme, ainsi que ses personnages, dans le bocal de sa pensée et tout ce petit monde s’y débat vainement, tourne en rond. Il éprouve désespérément les limites de son scepticisme et renvoie au prochain film l’espoir d’enfin percevoir le sens qui a manqué à ce dernier. En tout cas sa foi en le cinéma est inébranlable et minuit sonne déjà à Paris.

mercredi 16 mars 2011

"Avatar" de James Cameron



James Cameron filme l’invisible dans l’obscurité d’un hangar vide. C’est ce que vous pouvez voir dans le ‘making of’ de ce film monstre, la vie palpiter au cœur du virtuel. Il nous invite à passer de l’autre côté, à avoir la foi en le fantastique, à nous perdre dans son imaginaire bleuté. Il nous invite à regarder, à ouvrir les yeux sur le monde, à nous émerveiller comme au premier jour. Sous nos yeux, l’irréel s’anime, bondit, s’envole, s’incarne en elle ; dans ses yeux, le réel s’oublie, s’enfuit, s’étiole et la mort plane sur cet amour virtuel ; et cet amour se fane, s’endort sans elle.